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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/476

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avait été derrière elle, il était maintenant et il serait désormais devant elle; elle le trouvait toujours entre elle et son miroir. Mais la maison de Habsbourg, aussi, avait son Kronprinz; et elle avait aussi ses revendications territoriales. Ah ! combien de revendications, après tout ce que le XVIIIe siècle lui a fait perdre! D’abord, le Lombard-vénitien, et d’abord le dernier joyau soustrait, abandonné ou donné de si mauvaise grâce, la Vénétie même. Pour penser que 1848, 1859, 1866 avaient pu être effacés, il fallait n’avoir pas regardé la forme du crâne de François-Joseph. Au bout de soixante-huit ans de règne, qui ont été soixante-huit années de défaites, de malheurs publics et privés, le vieil Empereur est demeuré le prince adolescent, presque enfant, qui, obligé d’accepter le fait accompli, mais obstiné à en nier et le sens et la raison, se refusait, en une sorte de bouderie hautaine, à reconnaître « le vœu des populations. » Les « populations, » quelques fous, à son jugement, ou quelques intrigans, quelques conspirateurs qui prêtent aux masses muettes et stupides leur agitation bavarde, et qu’une clémence juvénile avait eu le tort d’épargner! Durant ces soixante-huit années, de dix ans en dix ans traversées de calamités, François-Joseph avait attendu, sans rien oublier et sans rien apprendre, qu’un retour de la fortune, salué par lui comme une revanche de la justice, lui ramenât son heure. La Russie écartée, rejetée hors de combat et hors de cause, cette heure lui avait paru revenue. On allait châtier du même coup, en ces Savoyards et ces Piémontais, la « rébellion » du grand-père et la « trahison » du petit-fils. Tranquille sur ce qui se passait, ou plutôt sur ce qu’on était persuadé qui ne se passait pas dans les Carpathes, on entassait dans les Alpes les régimens et les canons. Et l’on s’ingéniait à rallumer, par des ordres du jour enflammés, les antiques passions de la race, par quoi l’Autrichien de sang mêlé se révèle et s’affirme tudesque : dans une prose de soudard, qu’un Blücher ou un Radetsky eussent rougi de signer, on promettait pour la fin de la course, aux bandes impériales et royales, ces deux trésors de l’Italie : « le bon vin et les belles femmes. » Or, pendant que le « kaiserlick, » tout comme un Brandebourgeois ou un Poméranien, s’excitait à ces douces images, vers l’Orient, le géant endormi secouait le sommeil de sa fausse mort; l’immense front de douze cents kilomètres se ranimait.

On sait que, des rives de la Baltique à la frontière roumaine, il s’articule pour ainsi dire, en trois secteurs. Dans le secteur du Nord, Kouropatkine a en face de lui Hindenburg, dont la naïve grossièreté Allemande fait à plaisir une manière de croquemitaine, « notre