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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/502

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belle, à son gré, était celle de Rabastens qui lui avait troué la face.

Le capitaine de F… qui déclare : « Un officier de mon grade, qui fait son devoir dans la condition où je me trouve, ne doit pas revenir vivant, » témoigne d’un esprit de sacrifice qui outrepasse le mot d’ordre de Godefroy de Bouillon, au moment du dernier assaut contre Jérusalem, à la Porte de David : « Ne redoutez la mort, mais alez la quérant. »

Le poète Charles Perrot a été tué devant Arras le 23 octobre : un de ses camarades, le voyant malade, venait de lui dire : « Je vais te remplacer. Tu as toujours fait ton devoir. Repose-toi. » Et Charles Perrot avait répondu : « On n’a jamais fini de faire son devoir. » Ce poète s’accorde avec le chevalier Erard de Sivry qui combattait à Mansourah au côté de Joinville, et cinq chevaliers avec eux, dans une maison ruinée. Atrocement blessé au visage, il hésitait à aller chercher du renfort, de peur qu’on fit un jour reproché à lui et à sa parenté. « Vous pouvez aller, lui répond Joinville, car déjà vous êtes un homme mort ; » mais il ne se contente pas de l’avis de Joinville, il croit devoir demander conseil tour à tour à chacun des autres…

Au bois de la Grurie, une compagnie du 151e régiment d’infanterie barre l’entrée du boyau. Trois hommes seulement peuvent y tenir de front. Quand un homme tombe, un autre prend sa place. Le combat dura deux heures ; trente hommes tombèrent. Incident banal, presque quotidien. Comment ne pas penser à cet épisode des croisades que l’on appelait « le Pas Saladin » et que l’on peignait de toutes parts dans la salle des châteaux ? C’était votre roi Richard, Gautier de Châtillon, Guillaume des Barres, neuf autres chevaliers qui défendaient un défilé devant Jaffa. Tout le Moyen Age regarda ces douze hommes comme des miroirs de la chevalerie et conserva pieusement leurs blasons. Mais nous ne saurons jamais les noms des grenadiers du bois de la Grurie et de tant d’autres tranchées. Ils sont trop.


III

Voilà plus de mille ans que ce fleuve de prouesses coule à pleins bords. Nous venons d’y puiser ; nous n’avons pu saisir