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la Ligue, elle s’épargnait la guerre qui, de choc en choc, finit par briser sa « fameuse infanterie » à Rocroy. Moins encore pensait-elle à changer l’Angleterre en possession espagnole : à ne pas tenter l’invasion du pays qu’elle n’entendait pas asservir, elle se gardait intacte sa marine. A laisser aller les choses, elle ménageait tout ce qu’elle hasarda à faire comme elle fit. Or, elle n’avait pour le faire qu’une raison : elle crut que le service de la civilisation passait avant le service de l’Espagne. Elle voulut combattre partout où cette civilisation était combattue ; elle lutta jusqu’au bout de ses forces pour sauver la foi.

Et quand elle cessa d’être une grande puissance elle a, par la différence de ses fortunes, parfait l’unité de son caractère. Des nations elle restait la première par sa croyance en un bien essentiel, commun à tous les hommes, supérieur au bien particuliers des Etats, par sa générosité à servir les autres, par sa constance à se sacrifier pour eux. En elle apparaissent dans leur plénitude le désintéressement et l’héroïsme de la solidarité humaine qui inspira la civilisation latine.


Des ennemis qu’a rencontrés cette civilisation, le plus ancien, le plus constant, le plus redoutable est l’Allemagne. En une place du monde, dès l’origine, s’abrite et se prépare d’avance, contre la doctrine de l’égalité et de la fraternité humaines, la résistance d’une race séparée, résolue à ne vivre que pour elle, et résolue à défendre par son isolement ses aptitudes à la domination. Tels furent les Germains qui refusèrent de se soumettre, même à Rome. Tels furent les Saxons qui prétendaient sous Charlemagne garder leurs vieux dieux, et qui, sans cesse vaincus et jamais domptés, cherchaient toujours des forêts plus profondes pour fuir la société des autres peuples et la poursuite odieuse du christianisme. Quand enfin, devenus les Allemands, ils forment corps avec cette chrétienté et en pratiquent les institutions, c’est pour les fausser. L’Empire, tel qu’il avait été conçu à l’origine, était un magistère confié au plus digne des princes, par le suffrage de ses égaux : quand l’Allemand est devenu assez fort pour que ses chefs obtiennent cette dignité, elle change de caractère. Au lieu qu’elle soit protectrice de la chrétienté, elle devient protectrice de l’Allemagne. Le droit de suffrage est confisqué au profit des