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Je crains qu’elle ne s’aggrave pendant l’occupation prussienne : les agitateurs trouveront plus d’excitation parmi leurs dupes et moins de facilité de répression de la part de l’autorité. Faites donc tout ce qu’il vous sera possible pour nous délivrer dans le plus bref délai, car, dans l’état des choses, je ne puis répondre de rien et chaque minuté peut amener un épisode menaçant… Je vous envoie, mon bien cher Président, l’expression de mes plus tendres respects…

JULES FAVRE.


Le duc de Broglie a été envoyé à Londres comme ambassadeur, notamment pour assister aux travaux de la Conférence européenne réunie à la demande de la Russie afin de réviser l’article du traité de 1856 qui interdit au gouvernement du Tsar d’entretenir une flotte de guerre dans la Mer-Noire. La lettre suivante qu’écrit M. de Broglie à M. Thiers parle d’un curieux projet d’alliance financière entre la France et l’Angleterre proposé à Londres à propos du paiement des 5 milliards, et de l’idée qu’a eue Jules Favre, — idée plus juridique que politique, — de saisir la Conférence d’une protestation contre les conditions de paix imposées par la Prusse.


Le duc de Broglie, ambassadeur de France à Londres, au même.

Londres, 2 mars 1871.

Cher monsieur Thiers.

Je vous prie, en grâce, de jeter les yeux sur les dernières feuilles de la dépêche que j’écris aujourd’hui à M. Jules Favre et qui contient certaines expressions un peu énigmatiques.

Pour vous, et pour vous seul, voici ce que je veux dire, et sur quoi j’attends avec une certaine impatience vos instructions directes.

Comme je l’explique dans la dépêche, les exigences financières de la Prusse ont causé et causent encore ici un véritable scandale. Le public anglais est touché au vif. Il sent parfaitement que c’est lui qui, bon gré mal gré, paiera les cinq milliards ou du moins le plus gros morceau de cet énorme butin. L’appel de capital et de numéraire que nous serions obligés de faire sur tous les marchés du monde et sur celui-ci en particulier (qui est le principal), l’inquiète prodigieusement. La pensée que ce capital, dont les travaux interrompus de la paix attendaient si impatiemment le retour, va leur être soustrait pour aller s’enfouir dans le trésor d’une armée encore