Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voûtes ; on mit en place les admirables vitraux pour lesquels-Suger lui-même avait ordonné tout un programme iconographique et rédigé en vers latins un savant et mystique commentaire, et le 11 juin 1144,


Annus millenus et centenus quadragenus
Quartus erat Verbi, quando sacrata fuit,


comme il l’a noté, en présence du jeune Roi, de la Reine, d’un grand nombre de barons et d’abbés représentant les plus illustres monastères de la chrétienté, de cinq archevêques et de quatorze évêques, on procéda à la translation des reliques et à la consécration du chœur… Ce fut le plus beau jour de la vie de Suger, et c’est une des grandes dates — la plus grande peut-être — de l’histoire de l’art français.

Dès lors, le branle est donné ; l’architecture française est officiellement reconnue ; la doctrine est proclamée. Ce système de construction sur croisée d’ogives qu’elle vient de révéler au monde apparaîtra si efficace que le biographe de Philippe-Auguste, voulant, montrer l’importance de l’intervention du Roi comme défenseur de l’Eglise, écrira qu’il en fut « l’arc ogif, » c’est-à-dire le plus parfait soutien : « catholicæ ftdei validus defensor et ogis. » L’ère des grandes cathédrales va commencer.


Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’au moment même où il présidait aux premiers travaux du nouveau Saint-Denis, Suger avait soutenu contre saint Bernard une polémique fameuse. Fallait-il adopter pour les églises le luxe coûteux dont beaucoup de puissans monastères avaient donné l’exemple ? Dans une lettre à l’abbé Guillaume, vers 1130, saint Bernard avait protesté, tant au nom du bon sens que de l’économie, contre certains motifs décoratifs où s’était complu l’art roman (monstres enchevêtrés par exemple autour des chapiteaux, survivances barbares) et aussi contre la dépense excessive qui enlevait autant d’aumônes aux pauvres. Suger s’éleva vivement contre cette thèse, qui, si elle avait triomphé, aurait peut-être compromis tout l’essor de l’art chrétien. Certes, il y a de fort belles églises cisterciennes, — leur sévérité, leur nudité n’enlève rien à l’harmonie grave et solennelle d’e leurs lignes