Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Otton, on vit à la tête du royaume, au milieu de l’Europe et des violences déchaînées, un représentant authentique de la loi divine de justice et d’amour, vivante dans son cœur et réalisée dans sa vie, — capable certes de parler fortement et de haut à un Frédéric II, mais abandonnant de son plein gré à l’Angleterre des villes qu’il pouvait, — que, politiquement, il devait peut-être garder, — et qu’il cédait par amour de la paix et respect de l’équité… C’est la plus belle des victoires, la seule à jamais assurée… Et ici encore on retrouve, dans le Saint Maurice de Chartres ou le Saint Martin, dans les admirables statues des saints chevaliers et des apôtres de la charité, comme un pur reflet de l’idéal moral qui, pour la plus grande gloire et le plus grand bien de la France, fut incarné dans son roi au moment même où elle donnait au monde les chefs-d’œuvre de ses cathédrales.

Pour achever de dégager les caractères de « l’œuvre de France, » il faudrait instituer avec celle d’Allemagne une comparaison. Allez, — par la pensée, — de Reims à Bamberg ; confrontez les statues des deux cathédrales, celles qui, comme la Synagogue, l’Église, la Sainte Elisabeth de la Visitation et la Sibylle, sont en étroite connexion. Je ne sais quelle dureté dans l’expression, quelle sécheresse ou quelle application plus gauche et quel manque de mesure et d’eurythmie dans les draperies vous avertiront bientôt du changement de régime et d’école. Même ce qu’ils nous ont directement emprunté, ils l’ont défiguré, et quand on arrive aux Vierges sages et aux Vierges folles de Magdebourg et d’Erfurt, on est en pleine caricature boche.

Il faudrait aussi, — s’il était possible d’embrasser ici d’un coup d’œil toute la suite, tout le déroulement de l’histoire de notre art français, — examiner de très près les modalités qu’il traversa, après l’incomparable période dont nous avons essayé d’indiquer les caractères généraux ; — voir si, à l’époque du « gothique flamboyant » par exemple, ou bien après l’établissement en Bourgogne de l’atelier d’un très grand sculpteur étranger Claus Sluter, dont l’influence fut profonde, certes, mais pas aussi universelle qu’on l’a dit, il n’y eut pas chez nous réaction instinctive du vieux fond de bon sens, de mesure, — de l’esprit et du « goût » français, — contre les exagérations, les complications, les partis pris conventionnels qui avaient agité et creusé de tant de plis et replis soulevés les