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QUATRE MOIS EN RUSSIE
PENDANT LA GUERRE

Sur l’autre versant des tranchées : ainsi pourrait-on, d’après la carte de la guerre, définir la situation géographique de la Russie par rapport à ses alliés d’Occident, qui sont séparés d’elle par toute l’étendue de l’Empire ennemi. Un voyage compliqué, moins difficile pourtant qu’il n’en a l’air, permet de tourner le barrage que les Allemands ont établi au centre de l’Europe. En sept jours, pour peu que les circonstances s’y prêtent et que le voyageur sache s’y prendre, il est possible de se trouver transporté de Paris à Pétrograd ou inversement. On a franchi deux mers, la Grande-Bretagne jusqu’à Newcastle, la presqu’île Scandinave de bout en bout. On est passé tout près du cercle polaire arctique, dans les parages où Regnard s’émerveillait d’avoir rencontré des Lapons. On a vu les capitales de cinq États, soit neutres, soit belligérans, dans la diversité des conditions que la guerre leur a faites. Et l’on emporte de l’Europe septentrionale une image qui, malgré la rapidité de la vision, frappe l’esprit par la netteté des contrastes.

Nous débarquions à Bergen, à la fin du mois de janvier, quelques jours après qu’un incendie avait ravagé la ville. Les décombres fumaient encore. Pourtant la tristesse de cette catastrophe n’empêchait pas qu’on ressentît comme une étrange impression : celle d’entrer dans un monde qu’on aurait connu autrefois, celle de revoir des spectacles disparus. Des sensations abolies se levaient du fond de la mémoire. En vérité, c’était comme un fantastique conte du Nord… Nous commencions à oublier ce que c’est qu’un peuple qui vit en paix. En France et