Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/879

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vigile du poète


Gabriele d’Annunzio et la guerre


Du milieu des hantises de sa jeunesse, l’âme du prestigieux poète du Feu et de Laus Vitæ s’est, de tout temps, élevée, par élans fougueux, vers les régions sereines. Adolescent, il s’est éveillé des pires erreurs de son individualisme pour écouter ses compagnons et appeler « Aux armes ! » Lui aussi, comme notre Mallarmé, il était « hanté d’azur. » Il interrompait la strophe amoureuse pour clamer : « Ô mer ! ô mer ! ô mer ! » Parfois, il semblait au jeune homme que déjà le jour était venu et que la Nef du Salut abordait :


… À la voile ! à la voile ! Oh ! vents, au-delà des sirtes infâmes, poussez ma voile. — Que ma honte reste derrière moi, avec mes délices mortes ! — Avec les fleurs, les fruits de poison sur l’arbre mort — Mon cœur rêve une vie plus large et une plus fière mort… À moi, gloire promise !


La religion de la mer eut, la première, la vertu d’arracher l’auteur des Odes navales à ses préoccupations personnelles. Avant les crises morales qui devaient le renouveler, cette mer Adriatique sur laquelle il était né, — non pas sur la côte, mais bien à bord d’une « paranzolla » aux voiles triangulaires et couleur d’ocre, — cette mer lui inspira des poèmes où frémissent les revendications de tout son peuple, tel ce souvenir à Trieste :


En longs habits de deuil, seule sur le rivage comme la veuve… debout sur le seuil désert, sans cris ni sanglots, tu regardes à travers ton voile funèbre. — Et tu vois loin, très loin, au-delà de la mer, — en qui tu espères…


La triste sœur asservie veut continuer de croire à la réalisation de la promesse des siens : elle ne se lamente point ; elle