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Paris, que masquait et fardait le faux Paris, un peuple presque toujours élégant et joli, toujours modeste d’allures. Un peuple tranquille, laborieux, honnête, un peu badaud, modeste (ce mot revient toujours), modeste dans son air, dans sa tenue, un peuple charmant. » Et un peuple qui a le respect et le culte de ses morts, et qui sait être généreux, — M. Vallotton note qu’au cimetière de Pantin « les tombes allemandes sont aussi fleuries, et que rien ne les distingue des tombes voisines, » — et qui surtout sait être brave. M. Chavannes nous conte le joli trait que voici. Au moment où des avions allemands jetaient des bombes sur Paris, et où l’on s’attendait à un bombardement et à un siège, une dame charitable avait été chargée par une de ses riches amies de province de lui envoyer cinq familles pauvres ; tous les frais étaient payés ; elle n’en put trouver une seule ; une femme lui répondit : « J’aime mieux rester ; mon mari est à l’armée ; j’aime mieux avoir aussi ma part de danger. » Et ce peuple parisien qui n’a pas voulu quitter Paris est enchanté d’y être resté. « Il est à l’aise à présent, il est de bonne humeur, heureux d’être enfin seul chez lui. »

« Chez lui : » il faut donner au mot toute sa vigoureuse précision. Cette bravoure calme et modeste du peuple de Paris, elle a pour cadre naturel et nécessaire ces monumens, ces places, ces avenues dont la discrète beauté révèle un sens si exquis de la mesure, et qui, avec tant d’aisance, atteignent à la grandeur, non point par de « colossales » virtuosités, mais par la fine justesse des proportions et la simplicité de l’ordonnance. Entre les âmes et les pierres il y a comme une secrète et subtile harmonie. « On se tromperait, — dit excellemment M. Chavannes, — si l’on se figurait cet esprit héroïque très violent de ton, d’un lyrisme très monté. Ce ne serait pas français. Ce qui est français (regardez les vieux tableaux, les vieilles images religieuses d’Epinal, songez aux classiques), c’est la tranquillité dans le tragique, presque l’immobilité, c’est la raison dans l’héroïsme… Alors, dans la disparition de tout ce qui était factice et étranger, dans l’héroïsme simple du moment, cette grandeur du visage de Paris, épurée et ennoblie, s’élève jusqu’au solennel et au sublime, et une émotion vous saisit devant elle comme devant une belle tragédie. »

Oui, c’est bien là l’âme et le visage du Paris de la guerre, et jamais, je crois, nous n’avons été mieux compris.