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Faut-il s’étonner que des cœurs si humains soient aussi des esprits justes et épris de justice ? Un soldat disait à M. Chavannes à propos des prêtres : « Il n’y a pas, il faut reconnaître qu’il y a quelque chose en eux qu’il n’y a pas dans les autres… Et ils savent nous parler… J’ai vu des rouges, — alors, des vrais rouges, — leur serrer la main et leur dire merci. Le moral de l’armée française leur doit beaucoup… » Et leur équité s’étend sans effort jusqu’à leurs adversaires. Certes, ils les détestent, non pas comme ennemis, mais comme auteurs de tant d’atrocités inutiles. Mais ils ne contestent aucune de leurs qualités militaires. « Tous, ils reconnaissent la valeur des Boches, l’habileté de leurs tireurs, leur ténacité, leur courage. » « Pourquoi, puisqu’ils sont courageux, font-ils tant de cochonneries ? » se demande un clairon, qui ne parvient pas à résoudre cette énigme psychologique ; et le mot exprime à merveille la différence des deux mentalités. Ajoutez à cela que le soldat français aime le travail bien fait, et que, l’appréciant en connaisseur, il sait rendre hommage à ceux qui l’exécutent, ces derniers fussent-ils ses pires ennemis. Or, il est incontestable qu’il y a un « métier des armes, » et que les Allemands le connaissent et le pratiquent fort bien. M. Chavannes a finement noté ce trait du caractère français. « On sait, dit-il, à quel point le Français est homme de métier, à quel point il est ouvrier, bon ouvrier, habile ouvrier, formé par une tradition qu’il apprend, respecte, perfectionne… Un métier héroïque, voilà ce que c’est que la guerre pour les Français, et pourquoi elle leur convient si bien. Pour les deux raisons : le métier et l’héroïsme. Les récentes transformations de l’uniforme : le couvre-nuque bleu et le pantalon de toile bleue qui se met par-dessus le pantalon rouge accentuent encore cet air ouvrier du soldat français, cette jolie et libre tenue d’ouvrier français. Les uniformes trahissent sans doute un esprit profond : l’uniforme français est toujours plus une tenue d’ouvrier, l’uniforme anglais est une tenue de sportsman amateur…, et l’uniforme allemand est une tenue de parade (la grande tenue) ou (la petite) une tenue de forçat. »

Et si je voulais résumer d’un mot l’impression d’admirative et libre sympathie que ces trois témoins ont emportée de leurs visites à notre armée, je ne saurais en trouver d’autre, plus expressif et plus profond tout ensemble, que celui-ci, que