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des lèvres fraîches amena comme une ombre de sourire sur le visage du mourant. Le petit soldat français avait trouvé moyen d’évoquer autour de cette agonie une présence aimée, une tendresse de femme, le visage maternel, peut-être… Il avait donné le bienheureux viatique… »

Jusqu’à quel point la guerre qui, par ailleurs, est une si funeste chose, a-t-elle fait éclore dans les âmes de nos soldats ces dispositions qu’on pourrait croire nouvelles ? Il est certain que l’épreuve, le voisinage journalier des terribles réalités de la vie et de la mort, la douleur sous toutes ses formes, tout cela affine l’âme et l’ouvre à des préoccupations inattendues. Mais quoi ! si ces préoccupations n’existaient pas, au moins à l’état latent, la guerre et ses misères seraient impuissantes à les faire surgir dans les cœurs ; la guerre ne crée rien, elle développe et elle révèle. Mais précisément parce qu’elle met à nu, si l’on peut ainsi dire, le fond des âmes, elle détruit bien des conventions, et ruine bien des préjugés. Dans la fraternité des champs de bataille et des hôpitaux, les distinctions sociales s’abolissent ou s’effacent ; la véritable égalité humaine apparaît ; les méfiances s’évanouissent. Tous ces soldats d’une même chambre d’hôpital, ce sont comme les membres d’une grande famille, un moment séparés par la vie, qui se retrouvent et tâcheront de ne plus se perdre de vue. Et assurément, chez tous les peuples en guerre, cette fusion des classes doit s’opérer, plus ou moins complètement. Mais il est probable que, chez les Français, l’humeur volontiers égalitaire, l’instinct démocratique, l’esprit de sociabilité, le don de sympathie doivent rendre les rapprochemens plus nombreux, plus complets et plus intimes. Et c’est bien ce qui ressort du livre de Mme Noëlle Roger. « Aussi, maintenant que j’ai pu constater et juger par moi-même, écrit un soldat, jamais je n’oublierai. Et beaucoup feront de même, après avoir mal jugé auparavant. » Et l’écrivain suisse nous conte une délicieuse histoire, que je vais gâter en la résumant, mais qu’on lira, je l’espère bien, dans l’original. Il s’agit de deux jeunes gens, Pacard et Pascalin, l’un, enfant trouvé, l’autre, fils de millionnaire, que le hasard a rapprochés dans leurs lits de douleur, et qui sont devenus deux amis inséparables. Et rien n’est plus touchant que de les voir se rendre mille petits services réciproques, et mettre tout en commun, plaisirs et projets : leur plus grande joie est d’être assis en face l’un de