Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien acheter à droite ou à gauche et nous discuterons nos conditions d’achat. Mais il faut que nous puissions acheter quelque part sans courir le risque d’être saisis ou torpillés comme contrebandiers de guerre. Pour nous, c’est une question de fourniture, avant d’être une question de fournisseurs... »

Traité sur ce ton, le malentendu doit s’éclaircir. Et nous pouvons le retenir sans embarras en face des aspects de « l’autre » intervention.

L’action des Alliés est publique, franche, nettement définie ; elle n’a jamais recherché en Hollande que l’indispensable sauvegarde de nos intérêts économiques. L’Allemagne poursuit aux Pays-Bas une intervention politique, tour à tour sournoise et brutale, dont chaque révélation dénonce une offense nouvelle à l’intégrité nationale.

Un incident suggestif, jusqu’ici très peu connu, a, dès le début d’août 1914, révélé la méthode germanique. Des prisonniers allemands, surpris en Belgique, gradés pour la plupart, sont porteurs de quelques florins, de cartes postales, de paquets de tabac hollandais ; sur le carnet de marche d’un feldwebel, une ou deux étapes sont indiquées « chez les bonnes gens de Hollande. » A l’entrée de certains villages belges, les Allemands d’ailleurs proposaient les Hollandais en exemple : « Faites donc comme ceux-là... Ceux-là nous laissent passer... Ils ne tirent pas, ce sont nos amis. » Or, une enquête rigoureuse m’a permis de constater l’invention délibérée de cette prétendue violation territoriale. Pas un soldat allemand n’a franchi la frontière étroitement gardée par l’armée hollandaise. Les florins, les cartes, le tabac, facilement obtenus par des civils aux villages de la frontière, ont été distribués aux figurans militaires de l’envahissement, à qui un itinéraire fictif a été dicté. Double perfidie par laquelle l’Allemagne cherchait à décourager la Belgique et à compromettre la Hollande aux regards des Alliés ; la première menace fut brisée par l’irréductible décision des Belges, la seconde tomba devant la fermeté lucide du gouvernement néerlandais. : Mais l’infamie de cette première manœuvre promettait. « Je ne sais rien de plus insultant que cette machination, cette mise en scène de notre imaginaire trahison, » me disait un haut fonctionnaire de La Haye avec une indignation en vérité fort peu neutrale.

L’insulte ne fut pas réduite à ce cas exemplaire. A Rotterdam,