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cause surtout de la dissémination et de l’étendue de cette guerre dans le temps et dans l’espace, celle-ci est devenue une sorte de partie de cache-cache où le problème essentiel et primordial est de ne pas être repéré par l’adversaire, et de le découvrir au contraire. C’est pourquoi surtout on se cache dans des tranchées dont la protection matérielle est moins sûre que l’invisibilité qu’elle procure, c’est pourquoi on défile et on masque batteries, hommes et chevaux derrière des écrans quelconques. Mais si on peut ne pas être vu, il résulte des propriétés des ondes acoustiques que nous venons d’exposer, qu’il est impossible d’empêcher le bruit qu’on fait d’être entendu, car les obstacles qui arrêtent la vue n’arrêtent pas l’audition. Et c’est pourquoi on entend les coups des canons et des fusils qu’on ne voit pas. C’est pourquoi on entend éclater les obus et les mines dont on ne voit pas les éclatemens.

Le même phénomène qui rend sensible le son malgré les obstacles qui suffisent à arrêter la lumière, fait que la télégraphie sans fil est possible. Les ondes hertziennes employées dans celle-ci ont en effet une longueur d’onde encore bien plus considérable que le son (plusieurs kilomètres souvent) et c’est leur diffraction autour des plus gros obstacles du relief terrestre, de la courbure du globe elle-même, qui rend possible leur perception aux grandes distances.

Et c’est pourquoi tout le monde sur le champ de bataille, si abrité qu’il soit, si caché qu’il se trouve dans les postes souterrains, est enveloppé dans la symphonie épique que font dans l’air vibrant l’allegro joyeux et clair des pièces de campagne, le largo pathétique des canons lourds, auxquels dans le bruit de cymbales des mines et des torpilles, sous le vol bourdonnant des avions, vient se mêler le scherzo des tambourinantes mitrailleuses.

Tous ces instrumens martiaux, qui font frémir et Ambrer mélodiquement l’âme sonore de la bataille, toutes les bouches à feu, sont, dans une certaine mesure, analogues aux instrumens de musique à vent. Le son y est produit, grâce à la déflagration des poudres et des explosifs, par un phénomène très analogue à celui qui fait vibrer les tuyaux d’orgue.

Mais le déplacement d’air produit par la déflagration des charges de poudre et l’éclatement des obus et des autres engins explosifs est infiniment plus intense que celui qui est réalisé dans les instrumens de musique les plus puissans. De là provient la grande intensité et partant la portée considérable, que nous allons examiner maintenant, du son du canon.