Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraît-il, en ces âges révolutionnaires, pour mettre un château en état de défense et mener son propriétaire à la lanterne. Mondement, dès lors, n’alimente plus la chronique : il s’endort jusqu’à la guerre. Il n’a pas trop déchu dans l’intervalle ; il n’a pas fait trop de concessions au « confort moderne, » bien qu’appartenant à un agent de change de Paris, M. Arthur Jacob, qui y passait ses villégiatures, et dont la veuve y habitait encore au 5 septembre avec un de ses fils, une institutrice et un assez nombreux domestique. Tout ce personnel s’éclipsa au premier bruit de l’invasion, à l’exception de l’institutrice. Très courageusement, M. Jacob fils, malgré la gravité de son état de santé, s’était imposé de rester à Mondement où il suppléait son frère, maire de la commune, mobilisé, et ce beau courage civique devait lui coûter cher. Un hôte inattendu se joignit aux Jacob dans la nuit du 5 au 6 septembre, l’abbé Kobin, curé de Reuves. Le 4, des troupes françaises avaient cantonné à Reuves, mais elles n’avaient fait que passer. On les revit le 5, à trois heures du soir. L’ordre de tenir les débouchés Sud du marais venait d’arriver : une batterie se défila derrière le village et presque aussitôt entra en action. L’artillerie allemande riposta : il fallut chercher un refuge dans les caves. Mais, « vers deux heures du matin, » d’autres troupes françaises, « venues de Villevenard[1], traversèrent Reuves en jetant un cri d’alarme. » Ce qui restait de la population se dispersa ; l’abbé Robin, pensant trouver un asile sûr à Mondement, s’y rendit en pleine nuit. Le château était déjà occupé : il lui fallut parlementer. On le laissa dormir dans la cour jusqu’au matin, où l’intervention de Mme  Jacob lui ouvrit enfin l’accès des appartemens.

Ce fut une joie pour l’excellente dame que l’arrivée de ce nouvel hôte : elle l’accueillit comme un envoyé du ciel et voulut entendre la messe, que l’abbé célébra dans l’église voisine, à cinq heures. Il faisait à peine jour : les écharpes de la brume traînaient sur les coteaux. Une détonation sourde creva le brouillard, et des shrapnells tombèrent sur l’église. L’abbé et sa paroissienne rentrèrent vivement au château. La cour, les communs, qui offraient naguère « le spectacle d’une vaste caserne, » s’étaient vidés « en un clin d’œil : » les troupes

  1. Il faut lire plutôt « de la direction de Villevenard. »