Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se développait aux grands dépens de tous, il faut convenir que cette bataille d’arrêt doit être célébrée à l’égal de toutes celles dont, au début de cette étude, nous évoquions le souvenir. Il est intéressant de penser que les mêmes champs de Champagne auront vu deux fois l’Humanité briser la Barbarie. Car c’est sur les Champs Catalauniques, où jadis le premier Attila avait trouvé sa perte, que sont venues se faire déconfire — contre leur attente et celle de l’univers — les hordes d’un nouvel Attila.


Il nous suffirait, pour célébrer ces journées à l’égal des plus grandes, qu’elles aient marqué le réveil de la France.

Au moment où se livrait la bataille, je me trouvais enfermé dans le camp de Verdun quasi investi. Du fort, devenu depuis célèbre, de Douaumont, merveilleux observatoire d’où la vue porte de Monfaucon à Hattonchâtel, j’avais vu à notre gauche s’écouler de Spincourt à Consenvoye, de Consenvoye vers les pentes d’Argonne, une partie de l’armée Sarrail. Puis. frémissans tout à la fois d’angoisse et d’espoir, nous avions passé des journées à prêter l’oreille au canon qui, s’éloignant, nous apprenait seul que la retraite continuait. Et puis, nos côtes de Meuse étant tout de même bien loin des champs de la Marne, un grand silence pesa sur nous jusqu’à l’heure où Troyon et Génieourt furent bombardés et où le cercle parut se refermer sur nous,

Ce qui domine mes souvenirs, c’est la conscience d’avoir gardé, dans notre fortune, une foi sans réserves et sans défaillances. Je serais aujourd’hui tenté de m’en étonner, encore que l’événement l’ait pleinement justifiée. Elle n’était pas la foi du charbonnier et aucun mysticisme ne la soutenait. Elle se nourrissait au contraire de l’histoire du passé et on peut même dire qu’elle en jaillissait. Evoquant les souvenirs de tant de précédens, de ces réveils français qui avaient déconcerté nos ennemis et fait crier au miracle les gens mal avertis, je me tenais pour assuré que le Français, resté au fond le même, allait derechef étonner le monde par un de ces prodigieux rétablissemens dont, depuis plus de dix siècles, il est, si j’ose dire, coutumier. Lorsque, le 13 septembre, dans l’obscure casemate où nous travaillions, sevrés de toutes nouvelles depuis sept jours, mais pleinement confians en nos destinées, nous entendîmes les téléphonistes, nos voisins, répéter, d’une voix quasi extasiée, les mots