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principaux hommes d’armes. Mais François ne paraît pas avoir remarqué cette froide magnificence et ces visages impassibles qui le dévisagèrent. On croirait à le lire qu’il eut un entretien avec un vice-roi des Indes. L’audience fut brève et insignifiante. François l’avait prié de lui faciliter son voyage jusqu’à Kioto (le Myako d’alors) où il était impatient d’approcher le Roi des soixante-six royaumes du Japon ; et Shimadzu le lui avait promis, comme les Japonais promettent ce qu’ils ne tiendront pas : avec beaucoup de bonne grâce et force prétextes de retardement. La mousson empêchait la traversée ; et les guerres civiles, le passage par les provinces. Le prince ne voulait pas hasarder la vie de son hôte. L’hiver lui serait doux à Kagoshima ; et, dès le printemps, on lui procurerait un bateau qui le porterait à la ville impériale. En réalité, Shimadzu ne se souciait point de voir partir cet homme dont Yagirô lui avait vanté le crédit sur l’esprit des Portugais et dont la présence à Kagoshima y attirerait sans doute les navires du Portugal. Il désirait accroître le commerce de son port ; et, parmi les marchandises étrangères, il prisait fort les armes à feu.

En attendant, et comme si on se fût donné le mot, on entretenait François dans ses illusions sur le roi du Japon. On le lui représentait comme un ami du roi de la Chine. Il disposait à son gré du sceau royal de son bon frère chinois. Un sauf-conduit de lui vous ouvrait toutes les portes du Céleste-Empire. Et François, qui espérait de Dieu l’amitié du roi de Kioto, se voyait déjà muni de ce talisman et au cœur de la Chine. Il n’est pas au Japon depuis trois mois, et voici son imagination en route pour Pékin ! Et l’on exaltait devant lui la grandeur et la beauté de Kioto. C’était une ville de quatre-vingt-dix mille maisons. Elle possédait une Université et de grands collèges. Dans ses environs, quatre autres Universités comptaient chacune plus de trois mille cinq cents étudians ; et au Nord, il y en avait une cinquième qui les passait toutes. Il nous les nomme ; mais les noms qu’il leur prête ne sont que des traductions imparfaites des sons japonais, et il nous est d’autant plus difficile de les identifier que ces Universités n’étaient que des bonzeries. Tout cela paraissait si beau à François qu’il n’osait pas trop y croire ; et il y croyait encore trop.

Mais pourquoi des gens, qui tenaient à le garder, lui faisaient-ils miroiter tant de merveilles à trois cents lieues de