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dans tous les coins d’une existence si dramatique et si remplie. D’une façon générale, la volonté de François fut supérieure à son intelligence. Admirable, quand il se lance à l’assaut de l’inconnu, il l’est moins quand il organise. Au moment où il mourait, Ignace se décidait enfin, dans une lettre où il le rappelait en Europe, à formuler doucement et nettement ses réserves sur la conduite de son apostolat : « Il m’a paru bon que vous ayez envoyé en Chine Maître Gaspard et autres et, si vous y êtes allé vous-même, je tiendrai la chose pour bien faite, me persuadant que vous suivez en tout les conseils de la divine Sagesse. Et cependant mon jugement à moi est qu’il conviendrait mieux, pour le service de Dieu, que vous fussiez demeuré dans l’Inde après avoir dressé les autres à faire en Chine ce que vous vous proposiez d’y faire vous-même. Ainsi, vous exerceriez sur plusieurs points une action que, de votre personne, vous n’exerceriez que sur un seul. » C’est le véritable organisateur qui parle et qui dit tout en peu de mots. Il faut bien reconnaître que François n’a pas toujours été pour les jeunes Pères qui lui arrivaient du Portugal et de l’Italie le directeur que leur inexpérience attendait et qu’il n’a peut-être pas su les utiliser toujours au mieux des intérêts de la Mission. Obligé d’être à la fois celui qui découvre et celui qui dirige, il n’a vraiment rempli que la première de ces deux tâches, sans doute difficiles à concilier. Cela vient aussi de son tempérament nomade et de la sainte ambition dont il est dévoré. Un grand organisateur ne se tient pas constamment au premier plan. Lui, il absorbe tout ; il occupe à lui seul toute la scène ; ses collaborateurs s’effacent, disparaissent dans l’éclat dominateur de sa personnalité. Ses lettres, où il se raconte trop peu, ne nous disent rien ou presque rien de ceux qui l’accompagnent, qui travaillent avec lui, qui supportent en somme les mêmes peines que lui. On pensera qu’ils ne le valaient pas. Et qui donc valait Ignace de Loyola dans la Société de Jésus ? Pourtant ses compagnons et ses subordonnés ressortent en pleine lumière. François se remet à l’initiative des siens jusqu’au moment où il les arrête et les déplace. Il les abandonne pendant des périodes de deux ou trois années ; puis il revient avec le charme de l’aurore et des coups de foudre. Je voudrais pouvoir dire qu’il me semble aussi aimable qu’il est grand : je ne le puis pas. On a beau relire ses lettres, voyager en sa compagnie : on