Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à elle, — eh bien ! Mme de Grôlée, sœur de la marquise de Tencin, quand elle fut à l’article de la mort et eut à faire sa confession, dit seulement : « J’ai été jeune, j’ai été jolie ; on me l’a dit, je l’ai cru ; jugez du reste ! » — voilà toute l’aventure de Marie-Catherine de Brignole, princesse de Monaco. Les aventures se ressemblent, malgré les hasards ; et les hasards sont peu de chose : toute la différence vient des âmes. Il n’est pas deux âmes pareilles. Il faut donc aller jusqu’aux âmes, pour découvrir le roman. C’est où le peintre de ces jeunes femmes dépense un art exquis. Il avait observé, dans le passé, dans le présent aussi, ce malentendu : l’on ne se juge pas comme le monde vous juge. Complaisance ? Peut-être. Complaisance de nous envers nous-mêmes ; et la malice du monde ! Complaisance ; et il arrive que ce soit tout le contraire, si telles destinées, comme on le sait pour peu qu’on les ait regardées de près, se sont abîmées dans des remords que le monde n’exigeait pas. Non, le malentendu ne résulte pas uniquement de notre bienveillance égoïste. Mais le monde nous juge d’après nos actes, et même d’après ce qu’il voit de nos actes ; et nous, « selon notre conscience. » Le monde est méchant ? Il n’est pas toujours bon. D’ailleurs, ne le condamnons pas trop vite. Le monde nous juge d’après nos actes : « et c’est justice, » ajoute le marquis de Ségur. Nos actes ont une valeur significative et qu’on n’omet pas sans péril. La sévérité du monde, sa méchanceté même, sont, dans la société, des contraintes nécessaires. Une société se défend ; et, comme elle n’est pas toute en âmes, elle n’a pas tant à examiner les âmes que leurs manifestations plus évidentes. Elle blâme et fait son métier. Son jugement n’est pas méprisable. Ni le nôtre !... Le nôtre a pour lui la fine connaissance que nous avons de nous-mêmes. Le nôtre tient compte, avec subtilité, des menues circonstances : il est mieux informé, plus intelligent. L’historien de Marie-Catherine de Brignole, princesse de Monaco, nous invite à ne pas nous tenir au jugement du monde, sur la mémoire de ces défuntes qui ont été jeunes, qui ont été jolies, à qui on l’a dit et qui l’ont cru : vous savez le reste. Il s’est approché d’elles ; et il les a interrogées longuement, avec une curiosité passionnée, avec cette mélancolie de pitié qui attire la confidence. Il ne s’est pas éloigné d’elles avant d’avoir tout appris ; et alors, quand il savait tout, il savait que les âmes valent mieux, presque toujours, que leurs vies.