les Etats du Centre formaient le Mitteldeutscher Handelsverein. Enfin, la dernière étape avait été franchie : le 1er janvier 1834, le Deutscher Zollverein, qui englobait presque tous les Etats allemands, était constitué ; ceux qui restaient en dehors, comme le grand-duché de Bade et le duché de Nassau, devaient y adhérer peu d’années après.
Voilà le grand événement qui, chose à peine croyable, passait presque inaperçu en France à cette époque : l’unité commerciale préparait l’unité politique. Quinet, du moins, l’avait compris. Il avait senti le long frémissement de joie, qui avait couru à travers l’Allemagne, deviné les « longs espoirs et les vastes pensées. » « Depuis que cet événement important est consommé, écrivait-il, les Allemands sont convaincus qu’ils sont le peuple pratique par excellence, et qu’il ne leur reste plus qu’à saisir la couronne universelle [1]. » C’était fini, et bien fini, de l’Allemagne idéaliste des poètes et des penseurs. « L’idéalisme se meurt, » avouait le vieux philosophe Daub, un ami de Quinet. Ou plutôt, cette terrible force d’idéalisme, l’Allemagne maintenant la dirigeait vers l’action [2]. Elle avait « l’effroi de retomber dans la vie contemplative ; » elle voulait sa part du pouvoir, de la richesse, des biens de ce monde. Evolution naturelle, qu’il eût été sage de prévoir. Et maintenant c’était une nouvelle Allemagne qui surgissait, qui effaçait l’ancienne : l’Allemagne de l’industrie et du commerce, des hommes d’affaires et des politiques, fière de son esprit pratique, marchant à la conquête du monde.
Cette Allemagne-là, qui donc la soupçonnait en France ? Ce n’était pas assurément l’ami de Quinet, Michelet. L’année même qui suivit la conclusion du Zollverein, en 1833, s’adressant à son jeune auditoire de l’Ecole normale, il s’exprimait en ces termes : « Comme Parceval, l’Allemagne aussi aspire à l’isolement, ou du moins elle souffre tout, hormis qu’on trouble son repos et qu’on la dérange dans ses méditations [3]. » L’opinion de Michelet, c’était, hélas ! celle de nos plus illustres penseurs, de nos plus grands poètes ; c’était celle de la France.
Mais à cette œuvre de l’unité nationale il fallait un chef ;