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cours de la bataillé de la Marne : on a cru le reconnaître à Baye, au château de Mareuil-sur-Ay, à Ghauffry[1]. Cette ubiquité du personnage laisse planer un léger doute sur sa présence à Mondement. Et Humbert, d’ailleurs, a d’autres soucis pour l’instant que ces recherches d’identification. Il veut reprendre le château : il ne peut se résigner à le laisser aux mains de l’ennemi, — qui l’eût peut-être abandonné de lui-même quelques heures plus tard. Mais avec quoi le reprendre ? Il a jeté au feu ses dernières réserves. Il demande à la 42e division de lui prêter ses chasseurs à pied et il les lance avec ce qui lui reste de troupes sur le château. La contre-attaque échoue. Eh bien, on la recommencerai !

Mais c’était le moment où Foch, son aile droite disloquée, obligé de reculer jusqu’à Corroy, Gourgançon, Semoine et de là jusqu’à Salon, s’avisait, après accord avec Franchet d’Espérey, de tenter la plus audacieuse des manœuvres. En échec sur Mondement, vacillant à son centre[2] et n’ayant plus de valide qu’un bout de son aile gauche, il décide de faire pivoter ce moignon ou, pour employer un langage moins figuré, d’enlever la 42e division de sa gauche et de la jeter à sa droite sur le flanc de von Hausen. On a rapproché cette belle manœuvre de celle du prince de Saxe à Saint-Privat et l’on y a vu le mouvement décisif qui avait fixé le sort de la bataille : peut-être serait-il plus exact de dire qu’elle en précipita le dénouement, qui, dès six heures du soir, ne faisait plus de doute pour personne.

  1. Cependant l’instituteur Roland me dit que l’abbé Favret, professeur à l’école Saint-Étienne, de Chàlons, a vu le couvercle d’une caisse traînée à Mondement et portant l’adresse du prince Eitel. « Je tiens la chose, me dit-il, du capitaine Bérard, qui la tenait de l’abbé Favret. » Il semble avéré, tout au moins, qu’un état-major s’installa à Mondement et que, pendant les courtes heures qui séparèrent la chute du château de sa reprise par nos troupes, cet état-major mit à mal un assez joli nombre de bouteilles. Un journaliste qui visitait Mondement quelques semaines après la bataille de la Marne, M. Magne, du Petit Parisien, n’y comptait pas moins de « 300 bouteilles de Champagne vides » dans la seule cour d’honneur. Au témoignage d’un habitant de Sézanne, dont l’automobile fut réquisitionnée le soir même pour le transport des blessés, M. Quinet, « il y avait, dans toutes les pièces du château, des matelas couverts de sang, sur les tables des coupes pleines de Champagne. On marchait partout sur des débris de bouteilles. » Enfin l’on vend à Sézanne et dans toute la région champenoise des cartes postales représentant le kiosque du château avec cette légende : « Kiosque où se trouvaient le kronprinz ( ?) et l’état-major allemand buvant le Champagne quand arrivèrent les premiers obus de l’artillerie française. Après la fuite des Allemands, on retrouva les coupes à moitié pleines. »
  2. « Mont-Août-Sainte-Sophie, où l’on tient à peine, 90e… » (Journal de X… à la date du 9.)