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Ce qui s’est enlisé là, ce qui a sombré définitivement dans cette fosse verdâtre, c’est mieux que quelques bataillons d’élite, c’est le prestige de la force allemande et de sa prétendue invincibilité. Au bord du plateau où se cramponnaient nos troupes, dans la Marne, près d’Esternay, un riche et pur château du xviiie siècle porte le nom symbolique de Réveillon : est-ce ce nom, une terre chargée d’histoire, l’obscur pressentiment des revanches de l’avenir, ou tout cela peut-être en même temps qui inspira Detaille ? Quoi qu’il en soit, le Rêve, la plus émouvante et la plus populaire de ses toiles, est né à Réveillon, pendant l’été de 1887. Regardez-la bien : des soldats qui dorment, les faisceaux formés, sur un grand plateau nu où des feux de bivouac achèvent de se consumer. C’est, de toute évidence, le plateau champenois. Mais ne semble-t-il pas qu’au dernier plan de l’horizon, à la lisière du plateau, commence une zone de brume mystérieusement teintée daurore ? Et, sans trop de complaisance, n’est-il pas permis d’y reconnaître les brouillards héroïques de ces marais de Saint-Gond, au milieu desquels, vingt-sept ans plus tard, par la constance inébranlable de Foch aux prises avec les corps les plus fameux de toute l’Allemagne, la Victoire de la Marne devait secouer ses ailes et rouvrir le cycle fermé des grandes Gestes françaises ?

Charles Le Goffic.