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instans, est organisé un gouvernement local provisoire, qui proclame l’annexion à la Bulgarie et qui se hâte d’envoyer sa soumission à Sofia.

A cette heure matinale, le gouverneur turc était encore couché. Réveillé par les coups de feu, par les cloches des églises et par les clameurs de la rue, il se lève en toute hâte afin de s’enquérir de ce qui se passe. Mais avant d’avoir pu s’en rendre compte, il est arrêté, jeté dans sa voiture et conduit sous bonne escorte à la frontière, après avoir été préalablement averti qu’il ne lui sera fait aucun mal. En même temps, le major Nicolaïef et le capitaine Filof, que Panitza s’était adjoints, haranguaient les troupes et prenaient des mesures militaires pour résister aux Turcs, s’ils étaient tentés de s’opposer au grand mouvement national qui venait de s’accomplir.

On s’est maintes fois demandé si le prince Alexandre avait été complice de cette violation du traité de Berlin et de ce coup de force qui réduisait à néant les décisions des Puissances, les volontés de la Russie et la suzeraineté du Sultan. Il a toujours laissé entendre que l’événement ne l’a pas surpris, mais qu’il ne s’y attendait pas à la date où il s’est produit. Au surplus, la question est de peu d’importance, alors qu’on le voit se conduire comme s’il était préparé à l’agrandissement de la principauté. En recevant à Varna la nouvelle de la révolution rouméliote, il adresse une proclamation à ses nouveaux sujets ; il leur annonce sa prochaine arrivée à Philippopoli, leur déclare que l’union est définitive et il signe : « Prince de la Bulgarie du Nord et du Sud. » C’est ainsi qu’en quelques heures, s’accomplit le coup de théâtre qui résout, contre la volonté des Puissances, une question pendante depuis sept ans et qu’elles redoutaient d’aborder. L’événement jette dans la stupéfaction les chancelleries européennes ; surprises et déconcertées, elles avouent qu’elles ne l’avaient pas prévu et n’auraient pu croire qu’un tel défi leur serait porté. D’ailleurs, elles ne savaient que répondre et, tout au plus, paraissaient-elles disposées à reprocher au jeune prince d’avoir agi sans prévenir personne.

Le 25 août, les empereurs François-Joseph et Alexandre III s’étaient rencontrés en Moravie dans la résidence fastueuse du prince-archevêque d’Olmütz. Chacun des deux empereurs était accompagné de son fils et l’impératrice Elisabeth est venue saluer le monarque russe. Le prince de Bulgarie a été admis