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PRISONNIERS FRANÇAIS
EN SUISSE


Lorsque les rapatriés civils et les grands blessés traversaient la Suisse, ils nous disaient au passage la misère des camps, l’épuisement des prisonniers affamés, les maladies, les épidémies. Et, dès les premiers mois de la guerre, nous fûmes obsédés par la pensée de ces vies gaspillées sans aucun profit pour la patrie, de ces souffrances et de ces morts qui ne contribuaient pas à délivrer un seul pouce du sol envahi. Le sacrifice humain n’est-il pas assez lourd ? Il est le devoir immédiat, il est le prix affreux dont la liberté de la France et la paix à venir doivent être payées : sauvons du moins tout ce qui peut être sauvé ! C’est ainsi qu’est née dans beaucoup d’esprits l’idée d’interner en Suisse les prisonniers encore guérissables. Le Conseil fédéral entreprit des négociations auprès des belligérans [1]. Elles aboutirent à la fin de 1915, grâce à l’intervention du Saint-Père. Et le 25 janvier 1916, le premier convoi des prisonniers malades arrivait à Leysin.

Lorsque, à la petite station d’Aigle, dans le crépuscule matinal, on vit pour la première fois les soldats français toucher le sol suisse, la foule eut un mouvement irrésistible. Elle les entoura, s’empara d’eux, et ce fut comme si elle les prenait dans ses bras. Elle les conduisit à l’hôtel, les attendit pendant qu’ils déjeunaient, les escorta jusqu’au tramway électrique. Et l’on entendait des femmes supplier les soldats d’accepter

  1. Déjà à la fin de 1914 le Conseil fédéral avait entamé les négociations. Le Saint-Père les reprit au printemps de 1915. Elles aboutirent à la fin de la même année.