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par l’Ambassade de France. Il est une heure du matin. Le convoi va se disloquer. A trois heures, à cinq heures, les différens wagons portant sur un écriteau le nom du lieu de destination sont attelés à leurs trains respectifs. Les soldats, une dernière fois, serrent les mains tendues. Aucun d’entre eux n’a envie de dormir :

— Ah ! on n’avait pas le temps de dormir... Et puis on est trop heureux pour dormir...

Penchés aux portières, ils regardent le jour qui se lève... leur premier jour de liberté.

Les trains sont partis dans des directions multiples. Qu’importe ? Qu’ils aillent en Oberland bernois, en Valais, dans les cantons de Neuchâtel ou de Vaud, à toutes les stations, en dépit de l’heure matinale, ils trouveront un accueil identique. Cette nuit-là, le cri de : « Vive la France ! » retentit, avec des accens différens, d’un bout à l’autre de la terre suisse.

Ce matin, c’est dans le Valais que nous allons. Les soldats ont regardé le lac pâle et voilé de vapeurs blanches. Les gens venus aux stations leur disaient en montrant la rive opposée :

— Regardez, voici la France !

— Ah oui ! répondit l’un d’eux, ça sent la France...

Un autre a dit :

— Pauvre France ! je croyais bien que je ne te reverrais plus...i L’ample vallée du Rhône déploya ses prés tout en fleurs

sous les vergers roses. Chacune des petites villes assises à l’entrée des vallées latérales nous jetait au passage ses acclamations, les notes de sa fanfare, les chants de ses écolières vêtues de blanc. Au milieu des prairies, tout à coup, on voyait s’agiter un drapeau tricolore. Des femmes, des vieillards courbés dans les vignes, brusquement redressés, nous envoyaient leur salut. Un soldat suisse prit la position du garde à vous. Les internés ne quittaient plus les portières. A tous les passans qui s’en allaient à leur humble travail, ils témoignaient leur gratitude.

A Sierre, où les soldats dirigés sur Montana descendirent, un cortège se forma immédiatement. En tête, la fanfare qui jouait la Marseillaise, puis les fillettes en blanc ; les toutes petites venaient les premières, on avait ondulé leurs cheveux noués d’un ruban tricolore, et chacune tenait à la main un drapeau des Alliés. Le groupe des soldats français les suivait, encadré par la foule. Et les écoliers portaient leur musette.