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ne peut même pas affirmer, comme l’ont fait par erreur des techniciens, que si on a réciproquement une batterie devant soi, c’est bien dans sa direction qu’on entendra la détonation, car ce n’est vrai que si la batterie tire vers l’observateur, mais nullement si elle tire à droite ou à gauche. Donc, dans le service d’exploration, on commettra souvent de graves erreurs, si on veut déduire la direction d’une pièce ou d’un fusil de celles d’où leurs détonations semblent provenir. Ainsi, si tout le long d’une tranchée on entend la détonation d’une balle tirée de la tranchée opposée, tous les observateurs entendront le son dans des directions erronées et d’ailleurs discordantes, sauf l’homme qui aura été directement visé.

Parmi les autres conséquences bizarres de ces phénomènes étranges, il est un fait que j’ai constaté, qui n’a, je crois, jamais été signalé, et que je voudrais rapporter ici, car il est étrangement paradoxal et paraîtrait incroyable s’il n’était élucidé par ce qui précède. Me trouvant sur le front de Lorraine, au bois de Mort-Mare, j’ai entendu plusieurs fois, tandis qu’une de nos batteries de 155 tirait à quelque distance derrière moi et par-dessus moi, le coup de canon un temps notable avant d’entendre le mot « feu » du chef de pièce qui l’avait manifestement précédé, puisque provoqué. C’est que le mot « feu » traversait l’espace à la vitesse du son et la détonation à la vitesse beaucoup plus grande du projectile, et lorsqu’elle arrivait à mon oreille, elle avait dépassé les ondes du mot « feu. »


Il n’est pas jusqu’à certains phénomènes météorologiques et astronomiques sur lesquels le claquement des projectiles ne projette une lumière imprévue. Par exemple on a signalé souvent lors de la chute de quelque bolide que beaucoup d’observateurs répartis sur un nombre assez grand de kilomètres assuraient avoir entendu le bolide éclater avec un grand fracas exactement au-dessus de leurs têtes. Or le bolide ne pouvait avoir éclaté en même temps juste dans la verticale d’observateurs aussi éloignés les uns des autres ; il le pouvait d’autant moins que souvent on le retrouvait intact et nullement éclaté dans la terre meuble où il s’était enfoncé. Mais le bolide pénétrant dans notre atmosphère avec une vitesse très supérieure à celle du son y produisait une onde de Mach énergique, et c’est elle qui, venant frapper violemment les oreilles des observateurs, leur donnait l’illusion d’une formidable explosion au-dessus de leurs têtes.