Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eugène comme mentor, des paroles d’une sévérité encore plus rude. D’ailleurs, tout y passe. À propos d’un projet de loi dont il craignait le rejet, Eugène a fait venir Salimbeni, le chef de l’opposition dans l’ancienne Consulta. « Votre discours à Salimbeni, écrit l’Empereur, n’est pas sensé, il faut être plus grave dans la magistrature. Il fallait le faire appeler par la police ou par le ministre de l’Intérieur et m’en rendre compte. Il y a dans votre conduite quelque chose de chevaleresque qui est de votre âge, mais non de votre place. J’ai commencé par destituer Salimbeni. Je connais mieux les Italiens que vous. Je protégerai ceux qui me professent de l’attachement, mais je ferai une sévère justice de ceux qui seraient d’une catégorie différente. »

Et c’est là, tant la réprimande tient au cœur d’Eugène, le sujet de la première lettre que lui écrit l’Impératrice depuis le retour d’Italie. Arrivée à Saint-Cloud le 29 messidor (18 juillet) avec Napoléon, elle est partie pour prendre les eaux à Plombières le 14 thermidor (2 août), en même temps que l’Empereur se rendait à Boulogne. De là elle écrit :


De Plombières, le 18 thermidor (an XIII, 6 août 1805).

« Non, mon cher Eugène, je ne t’oublie pas, car je suis sans cesse occupée de toi, de ce que tu fais, de tes plaisirs, mais surtout de tes peines et je t’assure que, lorsque j’apprends que tu éprouves quelque contrariété, j’en suis plus affectée que toi. L’Empereur m’a paru toujours content de toi ; il a seulement été un peu fâché de ce que tu avais fait venir un homme qui avait tenu des propos. Il dit, — et avec raison, — que tu aurais dû le faire tancer par le ministre de la Police et qu’il n’était pas de ta dignité de le faire venir chez toi. Mais il a dit que c’était d’un jeune homme et d’un jeune homme qui avait de l’honneur. Il serait curieux de savoir par qui il a su cela. Au reste, il connaît ton dévouement pour lui et ton attachement et il t’aime bien. Il n’en est pas de même de sa famille. Elle a vu avec le plus grand chagrin ta nomination. Murat fait toujours le courtisan. Sa femme a été malade. Il y paraît, car elle est bien changée. Elle a conservé cet air qu’elle appelle dignité (que je nomme, moi, composé) qui ne lui réussit pas du tout. Tout ce monde-là a bien tort de ne pas nous aimer. S’ils voulaient être bonnes gens, ils n’auraient pas de meilleurs amis que nous.