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qui leur fait face, sur la tranchée de Besançon à l’Ouest, sur la tranchée de Belfort à l’Est.

En face, elles se heurtent à la 7e compagnie du 142e régiment, qui les reçoit à coups de grenades. Le premier peloton résiste sur place et inflige à l’ennemi des pertes sévères. Le second, qui était en soutien, se précipite à la rescousse, et c’est une ruée formidable contre des forces plus nombreuses qu’il empêche de passer. Le capitaine Tabourot commande ce peloton de renfort, assisté de l’aspirant Buffet. Un des rescapés a fait de lui ce portrait : « Le capitaine Tabourot se battait comme un lion. Il nous dominait tous de sa haute taille, il donnait ses ordres d’une voix brève, il nous encourageait et nous plaçait. Puis il puisa lui-même dans le sac aux grenades et, se renversant un peu en arrière, il les lançait à plein bras, tranquillement, visant chaque fois. Alors, cela nous excitait, et nous faisions de la belle besogne. Quel dommage que ça n’ait pas duré ! » L’héroïque troupe est tout à coup assaillie par derrière, entre la tranchée et le fort. A l’Ouest, en effet, la tranchée de Besançon, après avoir repoussé un premier assaut, a cédé. Sa petite garnison, débordée, s’est repliée vers le coffre double où se trouve l’une des deux entrées du fort. Déjà, il a fallu trans- porter à l’intérieur l’intrépide lieutenant Tournery, la tête traversée d’une balle, qui, mortellement frappé, mettra trois jours à mourir sans avouer ses tortures. Une troupe qui cesse d’être commandée cherche un abri pour se refaire. Celle-ci, décimée, rentre dans le fort par le coffre dont elle défend l’ouverture. L’ennemi a pu se glisser jusque devant la contrescarpe. Le fossé Nord lui est interdit par un canon-revolver placé dans le coffre double ; mais, le longeant, il a pris à revers le peloton du capitaine Tabourot.

Le capitaine est atteint par derrière d’une grenade qui lui brise les reins et lui déchiquette les deux jambes. « Domptant sa douleur, dit le témoin déjà cité, il ne laissa pas échapper une plainte, et je le vois encore passer devant nous, soutenu par deux de ses sergens. Il était pâle, mais il nous montrait l’ennemi. »

On le transporte à l’infirmerie. Le cortège pénètre à l’intérieur par la brèche du coffre simple Nord-Est. Le commandant Raynal vient le rejoindre immédiatement. L’entrevue des deux soldats est brève : aucune parole de consolation, aucune fausse