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« Je crois bien que l’on pourra toujours débarquer, me disait le regretté général Millet, alors que, sous-directeur des études à l’École de guerre, il voulait bien me faire l’honneur de suivre mes conférences, mais le difficile sera de déboucher. » Évidemment. Si dérouté qu’il ait été par les feintes dont je parlais tout à l’heure, le défenseur ne tardera pas à se montrer sur le point où notre armée a pris terre. Est-il absolument certain que le débit de ses chemins de fer, dans les circonstances spéciales que l’on sait, dépassera celui des navires de charge ? Nullement. Cela dépend des moyens de débarquement dont disposeront ceux-ci[1], de l’habileté des mesures prises, du développement de la plage de descente, de l’ordre, de la discipline des assaillans et de bien d’autres facteurs encore, les facteurs moraux entre autres, l’énergique volonté du commandement, l’ardeur de la troupe, enthousiasmée, on peut en être sûr d’avance, par cette offensive hardie qui foule enfin le sol de l’ennemi détesté…

Mais je consens que l’on ne puisse vaincre, immédiatement, du moins, la résistance des élémens de la défense ; j’admets que l’adversaire, dont la détresse commence à se manifester au moment où nous sommes, ait réussi, non pas à amener devant l’envahisseur de la chair à canon (il en a ; il en aura probablement jusqu’au bout), mais une véritable armée, constituée avec tous ses essentiels et délicats organismes, ce qui lui sera certainement difficile dans six mois ; je veux bien aussi que, sur certains points, il soit possible à cet adversaire d’envelopper le camp retranché de l’armée expéditionnaire de lignes de circonvallation d’une force égale. Du moins, se présentera-t-il des cas, — je les pourrais citer, — où il ne pourra pas appuyer l’une de ses ailes à la mer et où il sera constamment débordé, menacé sur ses derrières par la flotte transportant un corps mobile, détruisant les chemins de fer, lançant des escadrilles d’avions sur toutes les routes, des canonnières, des « radeaux armés » dans tous les fjords et dans les eaux intérieures.

  1. Là encore, il faudrait imaginer, créer, faire du nouveau. Au demeurant, on y a déjà réussi et le marin, — ou le militaire, — qui a eu l’idée de faire de l’engin de transport un engin de débarquement en échouant au rivage des Dardanelles un paquebot à l’avant duquel on avait disposé portières et pont-levis, a certainement bien mérité des partisans des opérations combinées. Le succès du procédé fut, en effet, complet. Et il s’agissait de débarquer sous le feu des Turcs tirant pour ainsi dire à bout portant.