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dès le lendemain du désastre, un grand chef carthaginois songeait à la revanche. Hamilcar Barca, en qui s’incarnait le génie guerrier de sa patrie, avait longtemps tenu les Romains en échec. Vaincu, il ne vit dans la paix qu’une trêve, et il consacra sa vie à préparer une offensive nouvelle. A ses projets il associa successivement son gendre Hasdrubal, et ses fils, Hannibal, Hasdrubal et Magon. Cette conspiration de toute une dynastie donna à l’entreprise son caractère propre et son unité. Parce que les Barcas voulurent la ruine de Rome, parce que leur haine coordonna, soutint, anima tous les épisodes du guet-apens, parce que leur personnalité impérieuse se mêla aux hasards des choses et leur imprima un sens, la seconde guerre punique apparaît, non comme un cataclysme désordonné, mais comme une œuvre d’art, non comme un conflit chaotique d’intérêts aveugles, mais comme un drame puissamment conçu et supérieurement monté. Du drame elle a l’harmonie, la logique, la terreur sacrée et la grande pitié ; et l’intérêt s’y surexcite de crise en crise jusqu’à la catastrophe finale.

Ce drame, — envisageons-le donc désormais comme tel, — comprend un prologue et quatre actes.

Le prologue, c’est la longue et patiente préparation dont je viens de parler. Fil à fil, dans l’ombre, la trame s’ourdit. Déjà, pendant la guerre « inexpiable » qu’il doit faire aux mercenaires révoltés, Hamilcar se ménage des alliances. Il cherche à s’attacher les Numides et donne en mariage sa fille (celle que Flaubert appelle Salammbô) à un de leurs chefs, Naravas. Au reste, cette politique matrimoniale est de tradition dans les grandes maisons de Carthage : plus tard, Hasdrubal Giscon gagnera le roi numide Syphax en lui faisant épouser la belle Sophonisbe. De pareilles alliances ne restent pas vaines. Ces filles de Carthage savent prendre de l’influence. Plus tard, Hannibal se trouvera bien d’avoir pour beau-frère un roitelet exotique...

L’Afrique pacifiée, Hamilcar se demande où atteindre Rome. Ce n’est pas sur mer : Carthage vient d’y succomber. Elle n’a plus de flotte. Pour reprendre l’empire de la Méditerranée, il faudrait faire un effort coûteux, difficile à dissimuler, et, partant, qui risquerait d’alarmer prématurément l’adversaire. Mieux vaut tenter la fortune sur terre, et par des voies plus détournées. Hamilcar médite d’organiser sur le continent une