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pas succomber. Il y a en elle un principe de force qui prime tout. Rome doit remporter la victoire, et elle la remporte, parce qu’elle dispose d’énergies morales et de richesses matérielles supérieures à celles de l’ennemi.

Au point de vue moral, il faut d’abord louer l’esprit militaire des Romains. Tous veulent servir. Les embusqués n’existent à peu près pas. L’opinion n’admet point, d’ailleurs, qu’on élude le devoir militaire, et elle réclame de sévères châtimens contre les rares réfractaires qui n’ont pas de cas de réforme ou de dispense à invoquer. Dans l’ensemble, la tenue des soldats impose l’admiration et le respect. Certes, étant hommes, ils n’échappent pas à tout reproche ; mais les « poilus » romains ont du cœur. De leurs rangs surgissent sans cesse des héros, qui prodiguent les actes de froide bravoure et de chaud enthousiasme, les bons tours d’ingénieuse adresse, les traits de sublime folie. Entre eux, ces compagnons d’armes se comportent en frères. Paysans ou citadins, pauvres ou riches, vétérans ou conscrits, tous, quelle que soit leur origine, pratiquent la plus saine, la plus confiante camaraderie. Ils s’entr’aident. Ils se sentent les coudes. Nul d’entre eux ne doute du succès. Pas d’hésitations, de murmures, de regrets ou de défiances. Ils ont d’ailleurs sur leurs adversaires puniques, braves et résistans aussi, la supériorité de l’idéal. Tandis que les Libyens, les Espagnols, les Gaulois, les Numides d’Hannibal se battent par goût de l’aventure, par discipline, parce qu’ils subissent l’ascendant du chef, les Romains et leurs alliés se battent, en outre, et avant tout, pour leur patrie et leurs foyers. Aussi sont-ils résolus à vaincre ou à mourir.

L’esprit civique de Rome, surtout après Cannes, ne le cède pas à son esprit militaire. Il est fait de dignité, de gravité, d’abnégation et de persévérance. Ces qualités se retrouvent chez tous les citoyens. Ils n’ont qu’une volonté et qu’un cœur. La patrie en danger fait l’ « union sacrée » autour d’elle ; et l’on voit des ennemis mortels marcher la main dans la main. On discute parfois sur les moyens, jamais sur la nécessité de vaincre. Admirons sans réserve une constance qui ne se dément jamais, un esprit de sacrifice que rien ne rebute, une confiance qu’aucun revers ne saurait ébranler. Alors qu’Hannibal campe aux portes de Rome, on vend à l’encan le terrain qu’il occupe, sans que cette circonstance en fasse diminuer le prix ! Rome sent qu’elle peut vaincre, et n’en abdique jamais la