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Ce qui rend possible l’épuisement progressif d’Hannibal, c’est que Rome a la maîtrise de la mer. Voilà en effet le facteur décisif du succès. On ne peut user un adversaire qu’à condition d’avoir sur lui l’avantage des communications. Or la flotte carthaginoise se trouve très affaiblie depuis la première guerre punique, et ne parvient pas à retrouver son ancienne splendeur. La flotte romaine est incomparablement plus forte et plus active. Mouillés à Ostie, à Brindisi, à Cagliari, à Marsala, les croiseurs romains exercent une surveillance incessante sur les côtes d’Italie et d’Afrique. Hannibal communique difficilement et irrégulièrement avec la mère patrie. Il n’en peut tirer ni renforts ni matériel. Un Allemand, Heeren, l’a dit : « Si la République carthaginoise avait apporté dans ses armemens maritimes et l’entretien de sa flotte autant d’activité que son illustre général dans la guerre continentale, le sort de Rome eût peut-être été tout différent de ce qu’il fut. » On ne saurait mieux dire. Les compatriotes d’Heeren peuvent méditer avec fruit cette leçon.

Les faits que j’ai résumés se passent de commentaires. Tout ce que je pourrais ajouter en affaiblirait l’accent. Aujourd’hui, c’est l’héroïsme ambiant, c’est le courage du front, c’est la constance de l’arrière qui donnent leur signification profonde à ces évocations de temps très anciens. Quand nous lisons Polybe et Tite-Live, il nous suffit de lever les yeux du livre, et de regarder autour de nous, pour y découvrir une vertu qui dépasse la « vertu romaine » dans toute sa gravité et toute sa noblesse. Saluons avec une fierté chaque jour renouvelée cette vertu magnifique qui s’affirme dans les plaines de la Picardie comme elle s’est affirmée sous les murs de Verdun, et attendons, nous aussi, la récompense qui ne peut manquer à tant d’héroïsme.


PAUL HUVELIN.