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l’échec de l’attaque, les bataillons massacrés, la blessure de son ami, l’horreur de cette journée d’enfer, tout cela ne suffisait pas... Le capitaine poursuivit :

— Dépêchons-nous. Vous prenez le commandement de la quatrième compagnie. Nous avons une rude chance que les Prussiens n’aient pas tenté de contre-attaquer : ils nous balayaient ! Reformez vos sections comme vous le pourrez. Le soleil est encore haut ; il est à peine quatre heures du soir : peut-être donnerons-nous encore l’assaut. Je vais, moi aussi, refaire mes unités.

De Quéré s’éloigna tranquillement.

« Un nouvel assaut ? » songeait Vaissette. Il rallia les chasseurs qui, un à un, rejoignaient ce qui restait de la compagnie. Le sergent Batisti réveillait les hommes hébétés ; Pluchard, hors de lui, commentait toutes les phases de l’attaque, annonçait une offensive de l’ennemi : il restait en tout une quarantaine de soldats.

— Ne les laissez pas inoccupés, dit l’officier au sergent. Faites leur gratter la terre. Deux sentinelles suffisent : les autres creuseront une tranchée. C’est plus prudent et ce sera le seul moyen de les reprendre.

Il faisait une chaleur lourde ; des nuages s’amoncelaient lentement ; les artilleries continuaient à tonner. Avec leurs courtes pelles, leurs bêches, les hommes se mirent à l’ouvrage ; ils secouaient ainsi leur abattement ; ils renaissaient à la vie : ils sentaient qu’ils avaient faim !

— Ce n’est rien de mourir, dit Angielli ; mais c’est dur de ne pas manger.

— Et les camarades qui y sont restés, est-ce qu’ils mangent ? demanda le caporal Gros.

— C’est malheureux que tu sois si bête, fit Angielli. Je disais cela, histoire de blaguer. Et voilà que tu par les des morts. Laisse-les où ils sont et attends ton tour.

Un agent de liaison apporta un ordre du commandant : il fallait se cramponner au terrain, repousser coûte que coûte toute attaque ; plus tard, on prendrait l’initiative d’un nouvel assaut.

« De Quéré avait raison, » pensa Vaissette.

Il alla retrouver le capitaine qui, lui aussi, aménageait ses positions. Il était allé voir le chef de bataillon.

— Eh bien ! qu’est-ce que vous dites de tout cela ? demandait