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l’Autriche-Hongrie : c’est la situation qui découle du traité de Berlin. Malheureusement, le gouvernement russe n’a su ni prévoir ni prévenir le soulèvement de la Roumélie et le Tsar n’a pu se résigner à l’atteinte portée à son autorité dans un pays arrosé du sang de ses soldats, et je ne puis dire qu’il ait eu tort. De leur côté, l’Angleterre et l’Autriche ont commis la faute de chercher à profiter de ce mouvement pour modifier à leur avantage l’équilibre des influences dans la presqu’île des Balkans. De là est venu tout le mal. Je n’hésiterai pas, pour mon compte, à soutenir cette opinion devant le Parlement si je suis appelé à parler des affaires bulgares. Mais ce que je ne pourrai faire, c’est de défendre les moyens employés par les agens du gouvernement russe pour restaurer son prestige dans la principauté. Je tiens trop à ma réputation d’homme d’affaires et d’homme d’État pour ne pas les blâmer très haut.

Et il les énumérait à grands traits, d’un accent où la raillerie le disputait à la colère, où le vinaigre se mêlait au miel et où se trahissait la satisfaction que lui causaient les fautes commises par le voisin.

Puis il continuait :

— Malheureusement, je ne trouve pas beaucoup d’écho à Saint-Pétersbourg. Cela serait sans grand inconvénient si je pouvais calmer l’irritation de nos amis de Vienne. J’y réussirais certainement s’ils n’avaient pas à compter avec la Hongrie, avec le régime parlementaire et avec la presse. Vous connaissez les passions et les ambitions qui agitent les Hongrois, je n’y insiste pas. Les difficultés qui proviennent du régime parlementaire et de la liberté de la presse ne sont pas moins graves pour le Cabinet de Vienne. Il n’est pas le seul dans cette situation. J’ai conscience que l’influence extérieure d’un pays est en raison inverse de l’immixtion de ses députés et de ses journaux. Voyez l’Angleterre : tant que tories et whigs ont admis que la politique étrangère devait rester en dehors de l’action parlementaire, elle a eu une politique étrangère. Depuis quelques années, elle est frappée d’impuissance.

Et, la voix s’élevant, le chancelier ajoutait ironiquement :

— Peut-on commettre une plus lourde bêtise que celle de Gladstone qui, par sentimentalisme, a rompu l’entente traditionnelle de son pays avec la Porte ? Quand on a la Russie pour adversaire, il faut avoir la Turquie pour alliée.