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tomba foudroyé, tandis que Stamboulof s’effaçait et prenait la fuite en appelant du secours. Du palais et des maisons voisines, on accourait ; on se pressait autour du ministre assassiné dont on ne pouvait que constater le décès. Quant aux auteurs de ce forfait, ils avaient disparu, ils devaient rester introuvables. Personne ne mit en doute qu’ils étaient l’instrument des amis du major Panitza. Mais c’est un innocent qu’ils avaient frappé, et non celui qu’ils voulaient atteindre. Dès le lendemain, on disait de toutes parts qu’ils recommenceraient. Ce meurtre en effet ouvrait la série des attentats qui furent commis, durant les années suivantes, contre les politiciens bulgares et qui fauchèrent tour à tour le docteur Voulkovitch, ministre de Bulgarie à Constantinople, partisan farouche de Stamboulof, Stamboulof lui-même, après lui, son ami Petkof, ancien maire de Sofia, voire d’autres personnages plus obscurs, y compris un certain Tufekchief auquel on imputait la mort du dictateur. A travers ces souvenirs, la Bulgarie apparaît comme la terre classique de l’assassinat.

Cependant, le soir même de la mort de Beltechev, la police et la justice intervenaient sur l’ordre du premier ministre et commentaient une enquête en vue de découvrir les coupables. Mais comment les découvrir, alors que personne ne les avait aperçus et que sur le théâtre du crime rien n’était resté qui permit d’établir leur identité ? On voit alors Stamboulof, qui se sent de plus en plus menacé, s’exaspérer de l’impuissance de ses agens, prendre lui-même la direction de l’enquête judiciaire et aboutir à cette conclusion que les assassins ont été soudoyés par la Russie et la Serbie. Karavélof, l’ancien ministre auquel Stamboulof reproche ses opinions russophiles, est arrêté de nouveau, bien qu’il soit invraisemblable que, naguère victime de la cruauté de Panitza, il ait voulu venger sa mort. Avec lui plusieurs députés de l’opposition sont incarcérés ; on raconte qu’ils ont été soumis à la torture. Une surveillance rigoureuse est exercée autour du consul serbe, et une prime de vingt mille francs est offerte au bon citoyen qui dénoncera les coupables. La rage du dictateur va si loin qu’ayant appris que les femmes des prisonniers ont adressé à l’agent d’Italie une requête dénonçant les traitemens barbares dont leurs maris sont l’objet, il les traduit devant le tribunal criminel en donnant l’ordre à l’accusateur public de requérir contre elles la peine de mort pour