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leurs vertus civiles ou militaires, en accolant à chacune d’elles l’épithète d’ « allemande, » comme pour en faire le monopole de leur race, et conclut en affirmant qu’un peuple aussi richement doué ne saurait périr, car ce serait « une insulte à la logique divine. » A quoi bon d’ailleurs s’inquiéter, « quand c’est chez nous qu’est la vérité, chez nous qu’est le droit, chez nous qu’est la force et chez nous que sera la victoire[1] ? » La répétition continuelle de ces raisonnemens simplistes et de ces affirmations tranchantes, auxquelles on préférerait une plus grande abondance de détails pittoresques, ne laisse pas que de communiquer à l’œuvre de Ganghofer quelque chose de tendu dans son lyrisme et de monotone dans sa violence. Avec ses insuffisances, elle présente au moins l’avantage de refléter les idées que le haut commandement allemand avait intérêt à propager dans le public.

C’est là également le principal mérite du livre de Sven Hedin. Le nom de cet explorateur suédois est maintenant entouré, et à juste titre, d’une fâcheuse notoriété dans notre pays. On se rappelle comment il avait, dès le début de la guerre, demandé à suivre les troupes allemandes en France, sous le prétexte d’observer de plus près une des grandes crises de l’histoire mondiale, mais en réalité pour obéir, de son propre aveu, à un obscur instinct de solidarité de race ; avec quelle inconscience il avait accepté de paraître en hôte de l’envahisseur, dans un pays où il avait été reçu en ami ; de quelle façon enfin il avait cru devoir apporter à la gloire et à la discipline de l’armée allemande un témoignage auquel d’abondantes souscriptions officielles enlevèrent par la suite toute apparence de désintéressement. Il prétend à une objectivité, d’ailleurs tout extérieure, affecte de savoir rendre hommage aux adversaires mêmes de l’Allemagne, et mérite au moins d’être consulté au point de vue documentaire.

Quant à Hans Bartsch, invité également aux quartiers généraux allemands, il ne se pique nullement d’une impartialité étrangère à sa nature. C’est un pangermaniste fanatique et naïf, tout fier d’appartenir, ne fût-ce qu’à titre de cadet, à la race élue, un peu honteux de n’être, comme Autrichien, qu’un Allemand de seconde classe, tout prêt à abdiquer entre les

  1. Ganghofer, pp. 44 et 151.