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de Reszké naguère, — soit digne du rôle, dans son regard et dans son geste même, la douceur et la modestie d’un jeune lévite. Quel chef ! Et quels soldats ! Quel ordre du jour ! Quelle offensive ! La musique jamais n’en « déclencha » de plus foudroyante. Et, pour allemand, voire prussien, que fût le musicien de cette musique-là, ne l’oublions pas, c’est chez nous, pour nous et selon nous qu’elle a été composée. Française par la volonté du maître, par son génie, qu’un Meyerbeer, après et comme un Gluck, avait librement fait nôtre, nous n’avons point à l’envier, moins encore à la détester et à la proscrire aujourd’hui.

Parmi les choses de la guerre, la musique n’a rien omis, rien ignoré. Sensible au mouvement et à l’action, des sujets ou des scènes plus calmes ne la laissent point indifférente : elle a su traduire aussi la poésie du repos et la sérénité du sommeil. Deux tableaux de ce genre, l’un déjà ancien, l’autre d’hier, nous reviennent en mémoire. Le premier est de Massenet et se trouve dans le Cid. L’opéra ne renferme pas une inspiration plus pure. Sans être de Corneille, la pensée, le sentiment ici n’est pas indigne de lui. Héroïque avec moins de puissance que de tendresse et de pitié, Rodrigue pourtant s’exprime en héros.) Sous sa tente, il veille seul et seul il prie, le jeune capitaine, pour ses soldats endormis, pour ceux qui demain vont combattre et mourir.


Que l’ange du sommeil effleure de son aile
Les fronts déjà promis à l’ange de la mort.


Ils ne sont pas mal, ces deux vers, et la musique en est tout à fait belle de mystère, de sollicitude et de mélancolie. Belle aussi l’oraison qui suit. Fervente et grave, elle se développe avec ampleur, pour se couronner par un élan pathétique, par un « acte, » — au sens religieux du mot, — enthousiaste et brûlant, de foi, d’espérance et d’amour. Une veillée des armes, et d’un chef, et consacrée à la prière, est-il une scène mieux faite pour nous toucher aujourd’hui ! En vérité cette page musicale vient, ou revient, à son heure. Elle reçoit des jours présens une vertu nouvelle et, pour le musicien de France qui nous la donna jadis, elle demande aux Français une pensée d’admiration et de reconnaissance.

Autre veillée militaire :