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d’Allemagne ont rendu le plus magnifique hommage. Les Deux Grenadiers ! Sous ce vieux nom de « grenadiers, » hier encore archaïque et légendaire, mais tout à coup rentré dans l’histoire, dans l’histoire des batailles présentes, quel couple de héros, animés d’une même vie, d’une âme deux fois lyrique, nous redevient présent ! A Dusseldorf naguère, dans le jardin de la Cour, le petit Henri Heine, couché sur l’herbe, écoutant pieusement son ami le tambour Legrand, avait appris bien des choses. Rappelez-vous le mot : sottise, expliqué par le rythme seul de la marche de Dessau. Mais ce n’est pas tout. « Il voulait un jour m’expliquer le mot Allemagne et il joua cette simple et primitive mélodie que l’on joue, les jours de foire, devant des chiens dansans, et qui retentit ainsi : dumm, dumm, dumm. Je me fâchai, mais je compris cependant[1]. » Ce n’était pas tout encore : « Quand je ne savais pas ce que signifiait le mot liberté, il me tambourinait la Marseillaise, et je comprenais. » et enfin : « Il me racontait les faits héroïques du grand Empereur et me tambourinait les marches qui avaient accompagné ces faits, si bien que je voyais et que j’entendais tout en réalité… Je vis, j’entendis la bataille d’Iéna : Dumm, dumm, dumm ! »

De ces leçons devait sortir un jour la poésie des Deux Grenadiers. Puis Schumann, étant venu, comprit à son tour, et voulant expliquer à ses compatriotes le mot liberté, le mot Empereur, le mot France, il mit cette poésie en musique et sur la musique de la Marseillaise. Le lied fameux, — trop fameux pour que l’on s’y arrête, — a beau se partager entre plusieurs styles ou plusieurs formes : marche, récit, dialogue tour à tour, notre chant national en est l’âme unique et toute-puissante. Lointain, mais déjà sensible dès le début, dès les deux premières notes de l’attaque initiale, il approche, il gagne de plus en plus. C’est lui qui soutient le poème sonore, qui le porte et qui finit, — avec quel éclat et de quelle flamme ! — par le couronner. Ainsi, par le sujet, par les personnages et par la musique même, le chef-d’œuvre allemand est à nous. Il nous revient, il fait partie des reprises ou des représailles idéales que nous avons le droit d’exercer, en attendant les autres.

Enfin, et pour que les plus hautes figures ferment cette

  1. Dumm, en allemand, veut dire : bête.