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Par une singulière ironie des choses, l’un de ces centres de flottilles se trouvait être un navire allemand, capturé au moment de la déclaration de guerre, et dont les qualités techniques se prêtaient admirablement à ce genre de service. Le port de Rochefort fut chargé de l’aménager en conséquence, et l’on vit longtemps, devant les magasins généraux, construits par Colbert de Terron, le long des berges boueuses de la Charente, la silhouette inattendue du cargo-boat germanique émergeant des roseaux avec sa couvée de pinasses disposées côte à côte à plat pont.

Les embarcations automobiles ont eu une destinée glorieuse, qui ne saurait éclipser celle des chalutiers. J’ai déjà exposé dans cette Revue[1] les raisons qui avaient conduit la marine à réquisitionner successivement la presque totalité de nos chalutiers pour les transformer en arraisonneurs-dragueurs ou en patrouilleurs, munis de pièces de 47 millimètres à 100 millimètres. D’autres concentrés en escadrilles de drifters ont rendu, dans la capture des sous-marins, des services sur la nature desquels je ne puis insister. Nos pêcheurs s’acquittent de leur tâche avec zèle et bonne humeur.

— Voyez-vous, me disait l’un d’eux, ce métier là, ça nous connaît tous. Quand nous voyons le dos de leur satané pirate, nous n’avons qu’à nous figurer que nous avons affaire à un requin, une sale bête que nous n’aimons guère parmi les gens de mer. Puis il y a la pêche à la torpille dormante, celle-là est bien plus amusante. Nous jetions jadis le chalut pour ramener des raies et des merlus. Au jour d’aujourd’hui, nous mouillons la drague Ronarc’h, pour ramasser leur marmite. Il y a peu de chose de changé, voyez-vous, sauf qu’on risque de sauter : mourir pour mourir, il vaut mieux pour un marin que ce soit sur l’eau que dans les tranchées.

J’entrevois la transformation apportée par la réquisition à l’existence de ces hommes, transformation fort peu radicale en effet. Tout en restant sur leur bateau, ils poursuivent, à l’aide de filets métalliques, la capture d’un squale d’un nouveau genre, L’inconnu du dragage, le va-et-vient continuel du chalutier sur les zones de patrouille, la recherche des champs de mines, tout cela ne rappelle-t-il pas au pêcheur son ancien métier ? Il n’y a

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1916.