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l’argent qu’il faut pour mener au succès un joli travail de conspirateur et, mon Dieu, pour vivre.

La « Confédération napoléonienne » aboutit à un échec dérisoire. Lakanal, déçu de son espérance, continua de se tirer d’affaire, en Amérique, tant bien que mal. La révolution de Juillet lui rouvrit les portes de la France. Avant de profiter de l’aubaine, il eut soin de se faire rendre sa pension de retraite, sa place à l’Académie des Sciences morales et, là-bas, de vendre ses plantations. Cela prit sept années. En 1837, âgé de soixante-quinze ans, il traverse l’Atlantique et débarque à Bordeaux.

Un beau vieillard : on l’eût pris pour un sexagénaire. Il se souvenait d’avoir été malade une fois, dans sa jeunesse, quand il enseignait la philosophie à Moulins, capitale du Bourbonnais : voire, il avait gardé le lit. Son vénérable ami Daubenton, célèbre collaborateur de Buffon, lui disait : « Vous ne mourrez qu’ossifié ! » Cette prédiction l’encourageait ; car il se sentait vif et alerte.

Il était veuf. Il avait perdu, l’année qui précéda son retour en France, et enterré dans le cimetière de Ganon Bend, sa femme née Marie-Barbe François. Quant à ses enfans, il les laissa en Amérique. Il n’avait pas été, pour Marie-Barbe, le modèle des époux. On raconte qu’étant économe ou « procureur gérant » du lycée Bonaparte, dans les premières années de l’Empire, il possédait, au lycée même, une bien-aimée ; le scandale fut assez gênant, car cette jeune femme ne craignit pas d’être mère. Et cet épisode n’est pas le seul, mais il est un de ceux qui semblaient ne pas destiner Lakanal à être, après sa mort, le héros éponyme d’un lycée.

Il mourut le 14 février 1845. Il venait de se remarier, épousant tard, et en signe de gratitude, Rosalie-Céleste-Bienaimée Lepelletier, qui lui avait donné un fils un mois avant qu’il n’eût soixante et dix-sept ans. Mignet, qui l’a connu à cette époque, l’appelle un « énergique vieillard. » À quatre-vingts ans passés, il se plaisait à herboriser sur les coteaux de Montmorency : cette aimable besogne a diverti de leurs souvenirs, autrefois, beaucoup de politiciens retirés. Avec l’âge, et agréablement installé dans sa vieillesse, il prenait un peu l’air d’un sage : ses folies n’étaient plus que des anecdotes surannées. Mignet le loue et dit : « M. Lakanal avait cru à la république, et il y croyait encore. »


ANDRE BEAUNIER.