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Et, d’autre part, la peinture de nos mœurs d’aujourd’hui, ou déjà d’hier, est ici criante de vérité et d’intimité. On reconnaît à mille détails nos intérieurs de moyenne bourgeoisie : une aisance toujours guettée par les mauvaises spéculations ou les mauvaises affaires ; des habitudes d’élégance, une délicatesse de sensibilité, qui accusent un long passé d’affinement ; une manière de vivre en famille et d’aimer ses enfans qui est spécialement la manière française. Car il est bien entendu que nous n’avons pas le monopole de l’esprit familial et de l’amour maternel et paternel. Mais, tandis qu’ailleurs on pousse volontiers les enfans hors du nid, quand ils peuvent voler par eux-mêmes, nous aimons, nous, à les garder près de nous, dans la tiédeur du nid, sous une aile que nous voudrions toujours protectrice. Nous vivons les uns avec les autres, et même un peu les uns sur les autres. C’est ainsi que le toit de Mme Fontenais abrite trois générations ; et quand on va dans l’Engadine pour la santé de la petite fille, cette bonne dame n’admet pas qu’on parte en voyage sans emmener la grand’mère.

La Course du Flambeau unit donc bien les deux traits de la définition sous laquelle on a coutume de la ranger. Toutefois, et pour serrer les choses de plus près, j’y verrais plutôt encore un drame philosophique. Paul Hervieu n’était pas seulement le moraliste qui peint les mœurs et qui analyse les âmes : ce romancier mondain, ce maître des élégances au théâtre avait de plus ce tour d’esprit spécial qui consiste à remonter aux causes, à dépasser le phénomène et l’accident pour s’élever jusqu’à la loi. Pessimiste, il l’était non pas seulement par tempérament et par humeur, mais par système et par raison démonstrative. Les regards qu’il promenait autour de lui, de son œil bleu d’acier, c’était pour recueillir des preuves à l’appui de son système. Chacun de ses livres était une application et une illustration d’une idée générale. Cela était plus visible encore dans ses pièces de théâtre, souvent disposées et conduites à la manière d’une argumentation. De là vient un certain air abstrait partout répandu dans la Course du Flambeau, une raideur qu’ont les personnages dans leur attitude et dans leurs gestes, un je ne sais quoi de mécanique dans leur façon de se mouvoir plutôt encore que d’agir. Mais de là aussi la largeur d’une œuvre qui dépasse de beaucoup l’étude d’un cas particulier. Tandis que le théâtre a coutume de s’attaquer aux vices du temps ou de poursuivre la réforme d’un article du code civil, la loi dont il s’agit dans cette pièce est de celles qui ne sont point inscrites dans les codes, étant