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douloureusement l’exactitude du propos. « Nous en avons assez des prêtres français, disaient en Picardie des officiers allemands ; mettez-vous dans le rang. » Et le curé d’Estrées-Deniécourt, le curé de Soyécourt, étaient emmenés sur le front des colonnes, et devaient marcher. Dans le rang aussi, à travers tout un quartier de Saint-Dié, on fit marcher Mgr Foucault, évêque de cette ville, et deux prêtres qui l’accompagnaient, tandis qu’à proximité, l’incendie s’allumait. Cet évêque voulait garder contact avec ses concitoyens menacés ; les troupes allemandes, entre eux et lui, s’essayaient à dresser un mur. Le curé de Saint-Martin, de Laon, passait un mois à la citadelle pour n’avoir pas voilé l’expression de ses espérances patriotiques, et puis on l’emmenait en Allemagne, prisonnier. Pour le curé du Catelet, c’étaient les insultes, les soufflets, les menottes, l’outrageante promenade où sans cesse l’assaillaient les menaces de mort, l’interminable exhibition sous les regards d’une armée qui défilait en le bafouant : ainsi vengeait-on quelques coups de feu tirés par des soldats anglais. Deux chiens, à Guny, avaient aboyé contre les Allemands : le curé et un jeune séminariste devaient s’en aller au camp de Zerbst, pour expier cette discourtoisie. Le doyen de Nesle était arrêté, conduit dans un faubourg où les balles pleuvaient, et puis expédié en Allemagne dans un wagon de marchandises en guise de châtiment pour l’inoffensive ascension de quatre Neslois dans son clocher.

On ramassait chez l’abbé Lahache, curé de La Voivre, une carte d’état-major constellée de petites marques au crayon rouge ; on le saisissait, on le bousculait, on constatait que les troupes allemandes avaient « trouvé dans sa localité des gens qui les avaient desservies ; » on lui signifiait à trois reprises qu’il serait fusillé, et, pendant que, s’étant bandé les yeux, il entonnait son propre Libera, dix balles prussiennes faisaient de lui un martyr, — frère de souffrances et frère de vaillance de ces prêtres martyrs de la Révolution, qu’étudiait volontiers son érudite sollicitude. Pour fusiller deux autres curés de la trouée des Vosges, celui de Lusigny et celui d’Allarmont, des simulacres d’interrogatoires furent à peine nécessaires : on avait besoin du sang d’un prêtre, peut-être, pour se consoler de la chute d’un Zeppelin.

« Vous êtes un assassin, » disaient au curé de Nomény, en Lorraine, les membres d’un conseil de guerre. Ils le condamnaient