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français, M. Joseph Reinach, qui était depuis longtemps en relations avec lui, se décide à l’interroger et lui fait part dans une lettre « de la tristesse que causent les dernières nouvelles à tous les amis de la Bulgarie et de son tsar[1]. » Il termine sa lettre par ces mots : « Sire, que dirait le Duc d’Aumale ? » Le Roi répond, dès le lendemain : « J’ignore totalement les nouvelles dont vous me parlez. Quelles qu’elles soient, l’historien me semble trop avisé pour en accepter sans contrôle la douteuse authenticité. Quant à mes sentimens, ils demeurent invariables. » Et au bas de cette affirmation, il signe : « l’Européen, » ainsi qu’il le faisait toujours dans sa correspondance avec M. Joseph Reinach.

Celui-ci n’est pas le seul qui ait été l’objet d’assurances analogues. Verbales ou écrites, on en formerait un faisceau dans lequel on trouve la preuve que, durant cette période, il n’a pas cessé d’essayer de tromper son monde, voulant se réserver, sans en faire l’aveu, de ne se prononcer, s’il y était contraint, qu’après s’être assuré de la direction que prenait la victoire. Dans une note rédigée par un homme qui l’a beaucoup connu et qui l’a vu de près au cours de ces événemens, on lit ce qui suit : « Jusqu’au mois de mai, le Roi est resté indécis et hésitant, subissant les impressions contraires qu’ils faisaient naître dans l’ordre militaire ou diplomatique, suivant leur tournure favorable ou défavorable aux uns ou aux autres. Son gouvernement encourageait et accueillait toutes les propositions, celles de l’Entente, celles de l’Allemagne, celles de la Turquie. Il en prenait acte sans y répondre, les opposait les unes aux autres, prodiguant à tous les représentans des États belligérans les mêmes assurances et les mêmes bonnes paroles, laissant entendre à chacun que la Bulgarie entrerait au moment favorable dans le groupement dont il faisait partie. » Il reste dans ce rôle jusqu’au mois de juillet. Mais dès la fin de mai, alors que sur le théâtre occidental de la guerre la situation militaire de l’Entente semble stabilisée et que sur le théâtre oriental l’armée russe abandonne les Carpathes et commence à battre en retraite, on constate que le gouvernement bulgare devient plus ouvertement favorable à l’Allemagne et à ses alliés, notamment dans les questions de transit de matériel de guerre à destination de la Turquie.

Au surplus, quelles que fussent les véritables dispositions du

  1. Voyez le Temps du 29 octobre 1915.