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avancée. Tous mes regrets, Monsieur, seront pour des hommes comme vous et, quel que soit le lieu que j’habite, je vous y conserverai admiration et dévouement.

« CHATEAUBRIAND. »


L’année 1831 venait d’apporter un grand changement dans la vie d’Augustin Thierry. Il avait rencontré aux eaux de Luxeuil, cette petite ville des grands souvenirs, Mlle Julie de Quérangal, fille d’un contre-amiral en retraite, major de la marine à Lorient, dont le nom s’est fait honorablement connaître dans les guerres de l’Empire. De cœur noble, instruite et distinguée d’esprit, cultivant elle-même les lettres[1], la jeune fille s’était prise à la fois d’admiration pour le talent de l’écrivain et de pitié pour son malheur. L’enthousiasme devint aisément de l’amour, bientôt un mariage s’ensuivit : union fortunée qui devait, treize années durant, illuminer de bonheur intime et réchauffer de prévoyante tendresse la vie douloureuse de l’illustre aveugle, et lui verser l’oubli de ses cruelles souffrances.

Après avoir quitté la France pour s’installer a. Genève en un modeste logement du quartier des Pâquis, Chateaubriand vient de rentrer à Paris, rappelé par la proposition Briqueville, qui bannit à perpétuité du territoire « l’ex-roi Charles X, ses descendans et les alliés de ses descendans. » Le 31 octobre paraît chez Le Normant, sa brochure d’inspiration si haute et de si fier langage : De la nouvelle proposition relative au bannissement de Charles X et de sa famille, ou suite de mon dernier écrit : De la Restauration et de la Monarchie élective.

Ce devoir accompli, il s’est remis à la composition de ses Mémoires. Le 15 décembre 1831, il écrit à Augustin Thierry, toujours installé à Vesoul, chez son frère, où il prépare les Nouvelles Lettres sur l’Histoire de France, devenues plus tard les Récits des Temps Mérovingiens.


Paris, 15 décembre 1831.

« Je me suis empressé, Monsieur, d’aller offrir à Mme Thierry

  1. Mme Augustin Thierry a publié en 1835 des Scènes de mœurs et de caractère au XIXe siècle, d’un style exact et net et de très fine observation, dont quelques-unes parurent dans cette Revue et un roman : Adélaïde. Mémoires d’une jeune fille (1839).