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vingt-septième jour du mois de décembre, Samuel Bernard attesta, entre les mains de M. Guillaume Parra, prêtre curé de Saint-Michel de la ville de Saint-Denis en France, qu’il croyait de ferme foi tout ce que l’Église catholique, apostolique et romaine croit et professe ; qu’il condamnait et rejetait toutes hérésies et opinions erronées que ladite Église condamne et rejetté ; il demandait à son aide ici-bas Dieu et les Saints Évangiles sur lesquels il jurait de vivre et mourir en possession de la même certitude. Néanmoins, et par une malencontre, il fut dragonne. Mais, pour les dommages à lui causés, il réclama dix mille livres.

Je ne sais pas s’il les obtint. Quoi qu’il en soit, on aurait tort de le considérer comme une victime de la Révocation. Cette petite dragonnade, qu’il évalue à dix mille livres d’inconvénient, ce n’est qu’un incident fâcheux. Le génie d’un Samuel Bernard ne surmonte pas seulement de telles péripéties : mais il les emploie à son bénéfice. Avant le malheur des huguenots, ses coreligionnaires du moment, Samuel Bernard n’était qu’un marchand comme un autre : marchand drapier. Son commerce comportait la marchandise de mercerie, drap d’or et d’argent, soie et joaillerie ; il tenait boutique ouverte, magasin, tapis sur rue, dans la paroisse de Saint-Leu et Saint-Gilles, rue du Bourg-l’Abbé. Il avait épousé, dans un monde pareil au sien, Madeleine Clergeau, fille d’une bonne faiseuse de mouches de la rue Saint-Denis. Soudainement, le voici grand manieur d’or ; le marchand drapier de la rue du Bourg-l’Abbé devient le célèbre financier de la place des Victoires. Où donc a-t-il trouvé des capitaux ? Si nous en croyons le Journal de Barbier, nombre de huguenots qui s’en allaient de France lui confièrent le soin de leurs intérêts. Ses premiers capitaux, ce sont ainsi les protestans qui les lui fournirent à leur départ. Samuel Bernard fut, en sa jeunesse, un protestant dépourvu de niaiserie et qui, de la révocation de l’Édit de Nantes, fit une excellente affaire.

Après cela, nous le voyons qui prospère le mieux du monde. Il est diligent et avisé, prête avec largesse et ne prête qu’à bon escient, prête aux grands seigneurs et bientôt prête au Roi. Le trésor du Roi n’était pas opulent du tout. Colbert, en 1662, après la disgrâce de Fouquet, cherche un million que les Anglais réclament sans délai, faute de quoi ils occuperont le port de Mardyck ; et il écrit à l’ambassadeur du Roi en Hollande : « Je vous assure qu’il n’y a rien de plus difficile que de trouver deux millions de livres d’argent comptant… » En 1699, le Roi, qui vient de nommer Chamillart contrôleur général des finances, ne lui cache pas son inquiétude : « Je vous serai