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qui ne cherche qu’à se faire entendre. » En vérité, ce style est non pas simple et grossier, mais clair, concis, dessiné nettement sans vains ornemens avec tout ce qui est utile, comme les bastions mêmes du grand ingénieur ; pour tout dire d’un mot ; déjà « napoléonien. »

Voici quelques-unes de ces précieuses maximes :

« Le premier moyen d’empêcher l’effet du canon est de lui opposer du canon, parce que l’on amuse l’autre et que le canon tire toujours à ce qui l’incommode. » Il y a là, d’un trait, toute la théorie de la contrebatterie, naguère mésestimée par beaucoup de théoriciens militaires et qui a pris depuis d’éclatantes revanches, notamment à l’armée de Verdun où, lors des dernières affaires, elle a, entre les mains expertes du général Nivelle, donné des résultats étonnans.

Si de deux troupes l’une est retranchée et l’autre non, l’avantage sera pour la retranchée, bien que plus faible en nombre d’hommes.

Si la troupe non retranchée veut passer sur la retranchée, l’avantage de celle-ci sera encore plus grand. Mais si la retranchée voulait passer sur la non retranchée, elle perdrait ses avantages.

J’ai déjà cité ici même d’autres maximes inédites de Vauban sur les raisons pour lesquelles une armée doit se retrancher, sur la nécessité des canonnades capables de nettoyer le derrière des parapets et des épaulemens, car elles seules peuvent favoriser l’attaque ; je n’y reviendrai pas.

Par ces quelques exemples on voit suffisamment que plus d’un principe, qui a eu dans la présente guerre une application non prévue, se trouvait déjà dans Vauban. Cet « esprit ferme et solide, » comme l’appelle l’abbé de Saint-Pierre qui le connut, tout à la fin du XVIIe siècle, avait médité sur presque tous les problèmes militaires. C’est ainsi que, par une coïncidence curieuse et dont on eût pu utilement faire état lors des discussions d’il y a quelques années sur la loi militaire, le maréchal de Vauban fixait à trois ans le temps de service nécessaire. Et, puisque je m’abandonne aux réminiscences, me permettra-t-on de citer, bien qu’étranger à mon sujet, ce curieux passage de Montaigne où l’on voit que de tout temps déjà on se faisait tuer bravement pour la solde de cinq sols par jour, exactement au même prix que nos héroïques poilus de 1916 :

« Celuy qui se tient ferme dans une tranchée descouverte, que fait-il en cela que ne facent devant lui cinquante pauvres pionniers qui luy ouvrent le pas et le couvrent de leurs corps pour cinq sols de paye par jour. »

Avec Frédéric II, puis Napoléon, les retranchemens de campagne