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était menacée à la fois par les Autrichiens et par les Albanais qui s’avançaient par la vallée de l’Ibar, par les Autrichiens qui approchaient de Novi-Bazar, par les Bulgares qui attaquaient le défilé de Katchanik et qui, depuis quelques jours, manœuvraient pour le tourner. Il semblait qu’à prolonger son séjour à Mitrowitza on risquait d’être pris par l’ennemi ; on s’étonnait du retard que le gouvernement mettait à quitter Rachka.

Le 12, au soir, M. Pachitch et ses ministres arrivaient enfin à Mitrowitza où ils étaient rejoints le 14 par le quartier général. Le 15, dans l’après-midi, arrive le Régent. Cette journée finit dans l’incertitude ; on ne sait rien de précis, mais on est inquiet : on sent qu’il se passe quelque chose. Avant comme après le dîner, le ministre adjoint des Affaires étrangères affirme qu’il n’a reçu sur la situation militaire aucune indication nouvelle ; il est toutefois surpris que M. Pachitch ne soit pas encore revenu de la préfecture où il est en conférence avec l’état-major général et le Régent. Chacun rentre chez soi. Vers neuf heures et demie, l’attaché militaire adjoint de la légation entre en coup de vent chez moi : « Il faut partir ! s’écrie-t-il. Les Bulgares ont occupé la position de Ghilan : ils peuvent tourner le défilé de Katchanik ; il n’y a pas de temps à perdre. Dès demain matin, l’état-major général part : nos missions vont cette nuit faire leurs préparatifs, elles partiront au jour pour Prizrend. Une place vous est réservée dans l’automobile du colonel Fournier. » Mais partir sans s’être mis d’accord avec ses collègues, sans savoir ce que fait le Gouvernement, c’est impossible. Dans les rues désertes, obscures, une lanterne à la main, je vais chez le ministre des Affaires étrangères. A sa porte, je trouve mon collègue russe que son attaché militaire a prévenu de la situation. Le ministre s’était retiré dans sa chambre ; nous l’en faisons sortir ; il ne sait rien ; il n’a vu personne, il s’étonne cependant de l’absence persistante de M. Pachitch ; sur notre insistance, il envoie à la recherche du président du Conseil et, bientôt, on nous annonce que M. Pachitch a quitté la préfecture et va rentrer. A onze heures et demie, il parait, pâle, les mains un peu tremblantes d’émotion ; comme si les paroles lui pesaient, en nous serrant la main, il dit simplement : « Ghilan est pris par les Bulgares ; il faut partir ; demain matin, soyez à la gare à huit heures, un train spécial vous emmènera avec nous et le quartier général à Liplian, d’où