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salles de réunion, de lecture, un théâtre rustique, avec son « plateau » et son rideau. A travers tout cela, je ne sais quelle « odeur de propre, » comme disent les ménagères, de bois neuf, de verni, de lessive ; des figures tranquilles, détendues, contentes. Après les réclusions et les ruées, les monotonies et les tueries du front, pour ceux qui ne sont que les « éclopés, » les rhumatisans, les fourbus, quel repos plus sain que de retrouver, précisés, rythmés par l’ordre et la discipline militaires, les travaux de leur vie accoutumée ? Et puis, ce village mort et devenu par eux plus vivant, cette petite ruche industrielle, c’est l’œuvre commune, pour le bien commun. Nulle question, ici, de syndicalisme, de grèves ou de huit heures. Cinq sous par jour, et plus de cœur au travail que pour dix francs dans l’atelier d’un patron. Chacun donne ce qu’il a de force. Quelques-uns apportent une invention ; c’est telle façon, avec des feuilles de bois tressées, de fabriquer les sommiers élastiques que l’on nous montre dans un dortoir ; c’est tel moyen d’articuler, en un tour de main, avec du fil de fer (les charnières manquant) les caisses à sable qui valent mieux que les sacs pour la défense des tranchées. Cette trouvaille, signifiant je ne sais plus quelle sérieuse économie quotidienne pour tout un secteur, fut payée d’un paquet de cigarettes et, ce qui comptait plus, de félicitations du colonel. C’est ici la même activité que dans les oasis d’Afrique où le soldat français se fait spontanément civilisateur, bâtisseur de maisons, de ponts et de routes. Ce colonel nous conduisait ; on voyait son plaisir à nous montrer ce dépôt ; c’était son œuvre, qu’il aimait comme l’inventeur son invention, qu’il avait méditée, amenée peu à peu à ce degré de perfection. Il nous expliquait son idée : « Faire travailler ceux qui ont beaucoup de temps et peu de forces, pour ceux qui ont beaucoup de forces et peu de temps. » L’excellent homme ! une figure toute de simplicité, de bonté. Avec quel ton paternel, quel accent d’intérêt personnel et direct il s’enquérait auprès des plus faibles de leur santé ! Je le revois posant sa main sur l’épaule d’un petit volontaire de dix-huit ans, et lui demandant s’il avait des nouvelles de sa famille. Le petit gars, évidemment touché jusqu’au fond de cette bonté, après le plus réglementaire des saints, se raidissait, fixe dans la posture d’attention, les yeux militairement rivés à ceux du chef, répondant avec la brièveté virile et respectueuse qui convient. Il