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ressources que nous tirons de leur sol. En un mot, nous les civilisons, nous les humanisons, nous les associons progressivement à une vie que nous considérons comme supérieure ; nous ne les exploitons pas. C’est du moins toujours ainsi qu’en France nous avons compris la colonisation ; et nous estimons que cette conception est suffisamment « altruiste » pour justifier les expéditions et les guerres que nous avons entreprises pour la réaliser. Il suffit au demeurant de jeter un coup d’œil sur notre œuvre en Algérie, en Tunisie et au Maroc pour constater que la réalité des faits, en matière d’activité coloniale, répond assez exactement à notre constant idéal.

Cet idéal qui consiste à ne point séparer sa cause de la cause de la civilisation elle-même, la France, plus que d’autres peuples modernes, peut-être, a le droit de s’en glorifier : ne l’a-t-elle pas fait triompher, les armes à la main, sur plus d’un champ de bataille ? Elle n’était pas encore la France que déjà, dans les Champs catalauniques, elle arrêtait, comme jadis Athènes à Marathon, le plus formidable flot de barbarie qui eût encore menacé notre civilisation occidentale. Si Attila l’eût emporté, ce n’est pas seulement l’Europe moderne qui eût été submergée et anéantie par l’invasion brutalement destructrice ; c’est l’ensemble des sentimens, des traditions et des idées que « les deux antiquités » nous avaient légués. Deux siècles plus tard, la civilisation chrétienne est de nouveau mise en péril par la triomphante invasion des Sarrasins, et c’est de nouveau la France qui, dans les plaines de Poitiers, sauve le monde du joug de l’Islam. Et enfin, quand, il y a quelques mois, sous la ruée des nouveaux Barbares, tout ce qui fait la parure, la délicatesse morale, l’orgueil de nos âmes contemporaines menaça de s’effondrer pour toujours, c’est la France encore qui, dans les plaines historiques de la Marne, brisa l’élan des hordes germaniques et les contraignit à rebrousser chemin. Un écrivain anglais l’a dit avec une éloquente concision : « C’est la haute et dure destinée de ce pays d’être la nation gardienne, » — gardienne de ce trésor d’humanité, de sagesse, d’expérience et de moralité qu’on appelle la civilisation.

Et c’est pourquoi, plus qu’aucune autre nation, la France aime à se battre pour des idées. Les croisades, ces gestes héroïques de l’idéalisme chrétien, ne sont pas une œuvre exclusivement française ; mais c’est en France qu’elles prirent