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n’ait essayé de copier Louis XIV. L’Angleterre, dont nous devions si souvent nous inspirer dans la suite, subit, comme toute l’Europe d’alors, le prestige du grand Roi : elle en oublie sinon sa langue, tout au moins sa littérature, et Corneille et Racine ont à Londres plus d’admirateurs que Shakspeare. Et quand, au siècle suivant, nous commençons à nous détacher d’un régime dont nous avons épuisé tous les avantages, c’est ce même régime qui fleurit à Berlin et à Saint-Pétersbourg : Frédéric II et Pierre le Grand sont des disciples de Louis XIV.


Nous sommes habitués en France à considérer la Révolution française de 1789 comme l’un des plus grands événemens de l’histoire, d’une portée analogue à celle de la Réforme. Mais de très bonne heure on en a jugé ainsi à l’étranger, et ni Kant, ni Burke, ni Gœthe, ni Joseph de Maistre, on le sait, ne s’y sont mépris. Or, qu’une révolution purement française, et qui, au début, n’avait pour objet que de remédier aux abus de l’ancien régime et de donner une constitution au pays, ait eu cette répercussion d’abord sur les esprits, puis sur les institutions de l’Europe moderne, voilà qui est véritablement unique dans l’histoire universelle. D’autres peuples ont fait des révolutions : l’Angleterre, l’Amérique, la Russie. Ces révolutions sont restées des révolutions nationales, toutes locales, par conséquent, et dont la portée générale n’a guère dépassé celle de notre Fronde. Rien de pareil dans la Révolution française. Dès les premiers jours de sa naissance, elle déborde les frontières de sa patrie d’origine. Ce n’est pas seulement le Français du XVIIIe siècle qu’elle veut affranchir ; c’est l’homme Universel ; et c’est moins de deux mois après la prise de la Bastille, c’est le 27 août 1789 que l’Assemblée Constituante vote la fameuse Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Un historien, Edgar Quinet, a voulu voir dans ce manifeste « l’Evangile des temps nouveaux, » et c’est peut-être beaucoup dire : car enfin, l’« Assemblée nationale » a beau se mettre « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, » rien n’est moins religieux que la Déclaration, et si c’est un Évangile, c’est un Evangile purement politique. Mais d’autre part, que ces quelques pages aient changé la « mentalité » politique et sociale de l’Europe, tout au moins dans le pays où ont pénétré les armes françaises, et que la Révolution, dans le cours de son