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ambitions sans scrupule. La France n’a jamais pu croire que la force toute seule, la force orgueilleuse et brutale eût le dernier mot dans les affaires de ce monde. Elle n’a jamais admis que la science eût pour fin dernière de multiplier les moyens de destruction et d’oppression, et c’est un de ses vieux écrivains, c’est Rabelais qui a prononcé cette parole mémorable : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Elle n’a jamais pu concevoir qu’un groupe ethnique, une forme particulière d’esprit eussent le droit d’en supprimer d’autres, et au lieu d’une uniformité rigide et mécanique de pensée et de vie, l’idéal auquel elle aspire, c’est celui du libre jeu, de l’épanouissement spontané, de la vivante harmonie des divers génies nationaux. Un monde où fleuriraient l’abus systématique et irraisonné de la force, le formalisme pédantesque, l’orgueil bureaucratique, la laideur infatuée et soi-disant scientifique, le goût du « colossal » lui paraitrait le plus odieux des enfers. Ce que d’autres appellent « culture, » elle l’appelle, de son vrai nom, barbarie. À cette barbarie, d’autant plus barbare qu’elle est plus savante, s’oppose trait pour trait la civilisation française. La France est liberté, grâce aimable, sens de la mesure, courtoisie, discrétion, finesse ; elle est indulgence, pitié, charité ; elle est humanité en un mot. Si elle venait à disparaître du nombre des nations, la vie humaine perdrait une partie de sa noblesse et de sa beauté.


VICTOR GIRAUD,